Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/44

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 Or c’est vous qui comme des pierres vivantes vous réunissez pour former le temple de Dieu[1] ». Ainsi donc quand il vous conduit, courez de votre côté, suivez quand il vous mène ; il n’en sera pas moins vrai que sans lui vous ne pouvez rien faire, car « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde[2] ».

14. Peut-être alliez-vous dire : La loi nous suffit. La loi inspire la crainte ; mais voyez ce qu’ajoute l’Apôtre. Il a dit : « Tous ceux qui sont animés de l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu » ; et comme être animé de l’Esprit de Dieu c’est agir par charité, « la charité ayant été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[3] », il continue : « Aussi n’avez-vous pas reçu de nouveau l’esprit de servitude qui inspire la crainte ». Que rappelle ce mot, de nouveau ? Comme à l’époque où vous étiez sous le joug de l’importun pédagogue. Que signifie-t-il encore ? Comme au moment où sur le mont Sina vous avez reçu l’esprit de servitude. On va me dire : L’Esprit qui rend esclave ne saurait être le même que l’Esprit qui affranchit. – S’il n’était pas le même, l’Apôtre semblerait-il dire qu’il est le même en employant ce mot de nouveau ? Oui, c’est le même Esprit ; mais la première fois il a écrit sur des tables de pierre pour imprimer la crainte, et la seconde fois sur les tablettes du cœur pour pénétrer d’amour. Vous qui étiez ici avant-hier, vous vous rappelez comment le peuple se tenait éloigné et comment le bruit, le feu et la fumée de la montagne le glaçaient de frayeur[4] ; comment au contraire le Saint-Esprit, ou le doigt de Dieu, descendit le cinquantième jour après la pâque figurative, et reposa, sous forme de langues de feu, sur chacun des disciples[5]. Ce n’était donc plus la crainte, c’était l’amour ; ce n’était plus pour nous rendre esclaves, c’était pour faire de nous des enfants. Car faire le bien par crainte du châtiment, ce n’est pas aimer Dieu encore, ce n’est pas être au nombre de ses fils ; et pourtant si tous du moins avaient peur de sa sévérité ! La crainte est une esclave, la charité est libre ; j’oserai même dire que la crainte est l’esclave de la charité. Ah ! pour éloigner le diable de ton cœur fais marcher en avant ton esclave et qu’elle garde la place pour sa future maîtresse. Agis, agis par crainte du châtiment, si tu ne peux agir encore par amour de la justice. Viendra la maîtresse et l’esclave s’en ira, car « la charité parfaite chasse la crainte[6] ; et vous n’avez pas reçu de nouveau l’Esprit de servitude qui inspire la crainte ». C’est maintenant le Nouveau Testament, ce n’est plus l’Ancien. « Les choses anciennes ont passé ; voilà que tout est devenu nouveau ; et le tout vient de Dieu[7] ».

15. Que lisons-nous ensuite ? L’Apôtre t’entend dire : Qu’avons-nous reçu ? Il ajoute donc : « Mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption filiale par lequel nous crions : Abba, Père ». On craint un maître, on aime un père. « Mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption filiale par lequel nous crions : Abba, Père ». Ce cri vient du cœur et non de la bouche ni des lèvres ; il retentit à l’intérieur, aux oreilles de Dieu. C’est ainsi que criait Susanne, sans ouvrir la bouche ni remuer les lèvres[8]. « Mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption filiale par qui nous crions : Abba, Père ». C’est au cœur de crier : « Notre Père qui êtes aux cieux[9] ». Et pourquoi ne pas dire seulement : « Père ? » Pourquoi dire : « Abba, Père ? » Car si tu demandes ce que signifie Abba, on te répondra qu’il signifie Père ; tel est son sens en hébreu. Pourquoi l’Apôtre a-t-il employé ces deux termes à la fois ? C’est qu’il avait en vue cette pierre angulaire rejetée par les travailleurs[10], et devenue la tête d’angle ; il savait qu’elle ne porte ce nom de pierre angulaire que pour réunir et faire s’embrasser les deux murs qui viennent de directions opposées. Ces deux murs sont la circoncision et la gentilité, aussi éloignées l’une de l’autre qu’elles l’étaient de l’angle, et aussi rapprochées entre elles qu’elles sont maintenant rapprochées de l’angle où elles s’unissent intimement. « Car c’est lui qui est notre paix, et de deux il ne fait qu’un[11] » ; il ne fait qu’un de la circoncision et de la gentilité ; ces deux murs sont la gloire de l’angle qui les réunit. « Vous avez reçu l’Esprit d’adoption filiale par qui nous crions : Abba, Père ».

16. Si tel est le gage, quelle ne sera pas la réalité ? Ne l’appelons pas gage, disons plutôt au singulier, arrhe ; car on rend le gage quand on a reçu l’objet même, au lieu qu’on conserve l’arrhe, lorsqu’on est en possession de ce

  1. Eph. 2, 22 ; 1Pi. 2, 5
  2. Rom. 9, 16
  3. Id. 5, 5
  4. Exo. 19, 20, 31, 18 ; ci-dev. ser. CLV, n. 6.
  5. Act. 2, 1-4
  6. 1Jn. 4, 18
  7. 2Co. 5, 17-18
  8. Dan. 13
  9. Mat. 6, 9
  10. Psa. 117, 22
  11. Eph. 2, 14