Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que votre âme s’attache aux charmes invisibles de la justice, toujours si belle, si chaste, si sainte, si harmonieuse et si douce, et ne l’observer point par contrainte. Vous ne l’aimez pas encore, quand c’est la peur qui vous y porte. Ce qui doit te détourner du péché n’est pas la crainte du châtiment, mais l’amour de la justice. De là ces paroles de l’Apôtre : « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair. Comme vous avez fait servir vos membres à l’impureté et à l’iniquité pour l’iniquité ; ainsi maintenant faites-les servir à la justice pour votre sanctification[1] ». Que signifie : « Je parle humainement? » Je dis ce qui est à votre portée. Or, lorsque vous avez fait servir vos membres à l’iniquité pour vous livrer à la débauche, est-ce la crainte qui vous poussait, ou bien est ce le plaisir qui vous attirait ? Lequel des deux ? Répondez-nous ; car si vous êtes sages aujourd’hui, peut-être ne l’avez-vous pas toujours été. Quand donc vous péchiez, quand vous vous plaisiez à pécher, était-ce la crainte qui vous y déterminait, ou la délectation que vous trouviez dans le péché ? Vous me répondrez que c’était la délectation. Eh quoi c’est le plaisir qui attire au péché, et il faudra la crainte pour porter à la justice ? Sondez-vous, examinez-vous. Ah ! que le tentateur qui m’en menace, enlève mon or ; il y a dans la justice plus d’agrément et plus d’éclat. Que celui qui me promet de l’or, ne m’en donne pas ; à l’or je préfère la justice, je trouve en elle plus de délices, plus d’éclat, plus de beauté, plus de charme, plus de douceur. Mais si on examine ainsi son cœur et qu’on triomphe dans cette espèce de duel, c’est qu’on a prêté l’oreille à ces mots de l’Apôtre : « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair ». C’est sans doute ici de l’indulgence pour la faiblesse, et j’ignore si jamais il s’est mis davantage à la portée des moins avancés.

7. C’est comme s’il se fût exprimé de la manière suivante : Je me place à votre niveau ; vous avez livré vos sens à des plaisirs coupables, et c’est l’attrait du péché qui vous a conduits à les commettre ; ainsi laissez-vous amener à faire le bien par les charmes et la douceur de la justice, aimez la justice comme vous avez aimé l’iniquité. Elle mérite d’obtenir que vous fassiez pour elle ce que vous avez fait pour l’iniquité. Voilà ce que signifie : « Je parle humainement » ; en d’autres termes, je dis ce qui est à la portée de votre faiblesse même. L’Apôtre tenait donc quelque chose en réserve ; mais quoi ? Qu’est-ce donc qu’il différait de dire ? Je l’exprimerai, si je le puis. Mets sur une balance la justice et l’iniquité : la justice ne vaut-elle pas autant que l’iniquité valait pour toi ? Ne faut-il pas aimer l’une autant que tu as aimé l’autre ? Quelle comparaison ! Plût à Dieu néanmoins qu’il en fut ainsi ! Tu dois donc à la justice davantage ? Sans aucun doute. Tu cherchais le plaisir en faisant le mal ; affronte la douleur pour faire le bien. Je le répète : Si tu as cherché le plaisir dans l’injustice, supporte la douleur en faveur de la justice : ce sera faire plus pour elle. Voici, à l’âge dangereux un jeune libertin poussé par la passion, il a jeté les yeux sur une femme étrangère, il l’aime et veut en jouir, mais il veut que ce soit secrètement : ce jeune homme aime le plaisir, il craint davantage la douleur. Pourquoi en effet ce désir de n’être pas connu ? C’est qu’il a peur d’être saisi, enchaîné, conduit, enfermé, produit au grand jour, torturé et mis à mort, et c’est la crainte de tout cela qui le porte à se cacher tout en cherchant à satisfaire sa passion. Voilà pourquoi il épie l’absence du mari, craint même de rencontrer son complice et d’avoir un témoin de son crime. Il est évident qu’il obéit à l’attrait du plaisir ; cet attrait néanmoins n’est pas assez puissant pour lui faire triompher de la crainte, de la torture et de la peur des supplices. Voyons maintenant la justice et la beauté, la fidélité avec ses charmes ; qu’elles se produisent ouvertement, qu’elles se montrent aux yeux du cœur et qu’elles embrasent de zèle leurs amis. Tu veux jouir de moi ? dira chacune d’elles : dédaigne tout autre chose, méprise pour moi tout autre plaisir. Tu obéis : ce n’est pas assez ; voilà ce qu’elle conseillait humainement, à cause de la faiblesse de votre chair. Oui, c’est peu de mépriser pour elle tout autre plaisir ; pour elle encore dédaigne tout ce qui te faisait peur ; ris-toi des prisons, ris-toi des fers, ris-toi des chevalets, ris-toi des tortures, ris-toi de la mort. En triomphant de tout cela, tu obtiens ma main, dit la justice. Et vous, mes frères, montez ce double degré pour prouver aussi combien vous l’aimez.

8. Peut-être rencontrons-nous quelques fidèles

  1. Rom. 6, 19