Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/59

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pensée terrestre, le souvenir d’un homme mort attaché à la croix ; mais il y a en lui ce qui ne monte pas dans le cœur de l’homme. Il ne s’élève dans notre cœur que des idées ordinaires. « Dans le cœur de Moïse, dit l’Écriture, monta la pensée de visiter ses frères[1] » ; c’était une pensée humaine. Et lorsque les disciples étaient indécis sur la personne même du Seigneur, lorsqu’ils se disaient, en le voyant ressuscité si vite : c’est lui, ce n’est pas lui ; c’est son corps, c’est un fantôme, il les reprit en ces termes : « Pourquoi ces pensées montent-elles dans votre cœur[2] ? »

4. Cherchons donc, si nous le pouvons, non pas ce qui pourrait monter dans notre cœur, mais où notre cœur doit mériter de s’élever. Il méritera d’être glorifié avec Jésus-Christ dans son royaume, s’il a appris à se glorifier avec lui sur sa croix. Aussi, bien plus heureux que ceux qui voient où il faut monter, sans savoir par où, et qui aiment le pays de la grandeur, sans savoir le chemin de l’humilité, l’Apôtre sachant tout à la fois et le terme et la route, s’écrie avec un accent profondément convaincu. « À Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon dans la croix de Jésus-Christ Notre-Seigneur ! » Il aurait pu dire : Sinon dans la sagesse de Jésus-Christ Notre-Seigneur, et il aurait dit vrai ; sinon dans sa majesté, il aurait dit vrai encore ; sinon dans sa puissance, il aurait dit également vrai. Il dit plutôt : « Dans la croix ». Ce qui fait rougir le philosophe du siècle, est pour l’Apôtre un trésor ; il ne dédaigne point l’enveloppe grossière, et il découvre l’or caché. « À Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ! » De quel heureux fardeau vous vous chargez, ô Apôtre, il renferme tout ce que vous ambitionnez, vous avez même montré ce qu’il contient de riche. Mais de quel secours vous est-il ? Par lui, répond-il, le monde a m’est crucifié, et je le suis au monde[3] ? » Comment en effet le monde vous serait-il crucifié, si pour vous ne l’avait été d’abord l’Auteur même du monde ? Ainsi que celui qui a se glorifie, se glorifie dans le Seigneur ». Dans quel Seigneur ? Dans le Christ crucifié. Il y a en lui de l’humilité, mais aussi la majesté même ; de la faiblesse, mais aussi la puissance ; la mort, mais aussi la vie. Pour parvenir à ce qui te flatte, ne méprise point ce qui t’effraie.

5. Tu as remarqué dans l’Évangile les fils de Zébédée. Ils voulaient de la grandeur, ils demandaient que l’un d’eux siégeât à la droite et l’autre à la gauche du Père de la grande famille. On ne peut le dissimuler, ils ambitionnaient là une haute élévation. Mais ils n’avaient pas souci du moyen d’y parvenir ; le Christ donc les rappelle de la fin qu’ils voulaient atteindre au moyen qu’ils devaient employer. Aussi que répond-il à leur demande ? « Pouvez-vous, leur dit-il, boire le calice que je boirai moi-même[4] ? » Quel calice, sinon celui de l’humilité, celui de la passion, sinon celui qu’il allait boire, quand personnifiant en lui notre faiblesse il disait à son Père : « S’il est possible, mon Père, que ce calice se détourne de moi a ? » C’est donc de ce calice que reproduisant encore les sentiments de ces disciples qui refusaient de le boire, cherchant la grandeur et ne s’inquiétant pas de l’humilité qui y mène, il leur disait : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même ? » Vous voulez le Christ sur son trône ; rapprochez-vous d’abord du Christ sur la croix. Vous voulez siéger et être honorés avec le Christ ; apprenez d’abord à dire : « À Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ[5] » Telle est la doctrine chrétienne ; elle nous ordonne, elle nous recommande l’humilité, elle nous dit de ne nous glorifier que dans la croix de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Il n’est pas difficile de te glorifier de la sagesse du Christ ; ce qui est grand, c’est de te glorifier de sa croix, c’est que l’homme pieux s’honore de ce qu’outrage l’impie, c’est que le chrétien se fasse gloire de ce que dédaigne le superbe. Ne rougis donc pas de la croix du Christ ; aussi pour te préserver de cette honte, as-tu reçu au front ce signe sacré, et pour ne pas avoir peur des propos étrangers, pense à ton front.

6. Le signe de l’Ancien Testament était la circoncision, imprimée secrètement sur la chair ; le signe du Nouveau est la croix, marquée ouvertement sur le front. C’est qu’alors les mystères étaient cachés, tandis qu’ils sont à découvert aujourd’hui ; il y avait alors un voile, la face est aujourd’hui dévoilée. Car, est-il dit, « tant qu’ils lisent Moïse, ils ont un voile posé sur le cœur[6] ». Pourquoi ce voile ? Parce qu’ils ne sont pas allés jusqu’au Christ.

  1. Exo. 2, 11
  2. Luc. 24, 38
  3. Gal. 6, 14
  4. Mat. 20, 22
  5. Id. 26, 39
  6. 2 Cor, 3, 15-16, 18