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SERMON CLXIV.
LE DOUBLE FARDEAU[1].

ANALYSE. – Chacun doit, conformément à la doctrine de saint Paul, porter son propre fardeau et porter aussi le fardeau de ses frères. I. Le fardeau propre que chacun porte est le fardeau de ses péchés : lourd et accablant fardeau qu’il faut nous empresser de secouer pour porter à la place le doux et consolant fardeau de Jésus-Christ. – II. Quant au fardeau de nos frères, nous devons le porter doublement : dans l’ordre physique et dans l’ordre moral. Dans l’ordre physique, en partageant nos biens avec les indigents ; si nous leur aidons ainsi à porter le fardeau de leur pauvreté, ils nous aident de leur côté à porter le fardeau plus lourd peut-être de la richesse. Dans l’ordre moral, nous devons supporter tes défauts de nos frères, sans nous séparer d’eux, comme font les Donatistes, tant de fois convaincus d’erreur et toujours opiniâtres à y demeurer. Opposons à leur orgueil et à leur respect humain une charité compatissante.

1. La vérité même nous invite tous, par le ministère de l’Apôtre, à porter mutuellement nos fardeaux, et tout en nous invitant à porter les fardeaux les uns des autres, elle montre ce que nous gagnerons à le faire, car elle ajoute : « Vous accomplirez ainsi la loi du Christ », laquelle ne serait donc pas accomplie, si nous ne supportions nos fardeaux réciproquement. Quels sont ces fardeaux, et comment devons-nous les supporter ? C’est ce que je vais tâcher de faire comprendre, avec l’assistance du Seigneur, puisque nous sommes tous obligés d’accomplir, autant que nous le pouvons, la loi du Christ. Ayez soin d’exiger ce que je me propose de vous faire voir ; mais aussi ne réclamez plus rien quand je me serai acquitté de ma dette. Ce que je me propose donc, pourvu que le Seigneur seconde mes désirs et exauce les prières que vous lui offrez pour moi, c’est de vous montrer quels sont les fardeaux que l’Apôtre nous ordonne de porter et comment nous les devons porter. En accomplissant ce devoir, nous jouirons naturellement de l’avantage promis par cet Apôtre, celui d’observer complètement la loi du Christ.

2. Il faut donc, me dira quelqu’un, que le texte sacré ne soit pas clair, pour que tu essaies de montrer et quels sont ces fardeaux et de quelle manière nous devons les supporter ? – C’est qu’ici nous sommes obligés de distinguer plusieurs espèces de fardeaux. Tu lis en effet, dans le passage même que nous expliquons : « Chacun portera son propre fardeau ». N’êtes-vous pas alors pressés de vous dire : « Si chacun, selon l’Apôtre, doit porter son propre fardeau », comment, selon lui encore, « devons-nous porter les fardeaux les uns des autres ? » Pour ne pas mettre saint Paul en contradiction avec lui-même, il faut évidemment voir ici plusieurs sortes de fardeaux ; car ces deux assertions différentes que chacun doit porter son fardeau personnel, et que tous nous devons nous prêter à porter nos fardeaux réciproquement, ne sont pas éloignées l’une de l’autre ; elles sont dans la même épître, dans le même passage, si rapprochées enfin qu’elles se touchent.

3. Autre est donc l’obligation de porter notre fardeau particulier, sans pouvoir être aidé ni pouvoir nous décharger sur personne ; et autre l’obligation qui te fait dire à ton frère : Je vais porter avec toi, ou même : Je vais porter à ta place. Mais dès qu’il faut distinguer, tous ne sauraient comprendre aisément. Il y avait des hommes qui croyaient qu’on peut être souillé par les péchés d’autrui : « Chacun, leur répond l’Apôtre, portera son propre fardeau ». Il y en avait aussi qui une fois certains de n’être pas coupables des péchés d’autrui, pouvaient par négligence ne s’occuper plus de reprendre le prochain : « Portez les fardeaux les uns des autres », leur crie saint Paul. L’Apôtre s’exprime et établit la distinction en peu de mots ; cette brièveté, pourtant, ne paraît pas nuire à la clarté. Quelques mots en effet nous ont suffi pour comprendre la vérité. Je n’ai pas lu dans vos cœurs, mais j’ai entendu les témoignages qui viennent de s’en échapper. Maintenant donc que nous sommes

  1. Gal. 6, 2-5