Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/77

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sûrs d’être saisis, étendons-nous un peu plus, non pour vous faire voir ce que vous voyez, mais pour vous en pénétrer davantage.

4. Les péchés sont les fardeaux personnels dont chacun est chargé. À ceux qui gémissent et qui s’épuisent inutilement sous ce poids abominable, le Seigneur crie : « Venez à moi, vous tous qui gémissez et qui êtes accablés, et je vous soulagerai ». Comment peut-il soulager ceux qui portent la charge de leurs péchés, si ce n’est eu leur en accordant le pardon ? Ne semble-t-il pas que du haut de son incomparable autorité, le Docteur de l’univers s’écrie : Écoute, humanité ; écoutez, fils d’Adam ; écoutez, vous tous qui travaillez en vain ? Je suis témoin de vos travaux ; considérez mes largesses. Je sais que vous souffrez et que vous êtes accablés ; ce qu’il y a de plus malheureux, c’est que vous attachez à vos épaules ces charges qui vous tuent : ce qu’il y a même de pire encore, c’est qu’au lieu d’alléger, vous ne cherchez qu’à appesantir vos fardeaux.

5. Qui d’entre nous pourrait donner, en quelques instants, une idée de tant de fardeaux, avec leurs variétés multiples ? Rappelons cependant quelques traits ; ils nous permettront de juger du reste. Voici un homme courbé sous le poids de l’avarice ; il sue, il respire avec peine, il a une soif ardente et tous ses travaux ne font qu’ajouter au fardeau qui l’accable. Qu’attends-tu, ô avare, en embrassant ce fardeau et en te l’attachant aux épaules par les chaînes de la cupidité ? Qu’attends-tu ? Pourquoi te fatiguer ? A quoi aspires-tu ? Quel est l’objet de tes désirs ? Tu veux satisfaire ton avarice. Vœux superflus ! coupables tentatives ! Tu veux satisfaire ton avarice ? L’avarice peut bien te pousser, mais tu ne peux la satisfaire. N’est-ce pas un joug pesant, et sous ce poids énorme la sensibilité serait-elle déjà éteinte en toi jusqu’à ce point ? L’avarice ne pèse pas sur toi ? Pourquoi donc te réveille-t-elle ? Pourquoi même t’empêche-t-elle de dormir ? Il serait possible encore que l’avarice fût accompagnée dans ton cœur d’une autre passion, celle de la paresse : mais ce sont deux bourreaux ennemis entre eux qui te poursuivent et te déchirent ; car leurs ordres ne sont pas les mêmes, leurs prescriptions ne se ressemblent pas. Dors, dit la paresse ; lève-toi, dit l’avarice. Ne t’expose pas au froid de ce temps, dit l’une ; ne redoute pas même les tempêtes de l’Océan, dit l’autre. La première dit : Repose-toi ; la seconde ne le permet pas, elle veut que tu marches, elle crie : Traverse les mers, cherche des pays inconnus, transporte tes marchandises jusque dans les Indes ; tu ne connais pas la langue des Indiens, mais l’avarice se fait comprendre partout. Tu rencontreras un inconnu pour qui tu es inconnu toi-même ; tu lui donnes et il te donne, tu achètes et tu emportes. Tu es arrivé jusque-là au milieu des dangers, au milieu des dangers encore tu en reviens, et quand les flots de la tempête te secouent, tu t’écries : Sauvez-moi, Seigneur. Ne l’entends-tu pas répondre : Pourquoi ? Est-ce moi qui t’ai envoyé ? C’est l’avarice qui t’a commandé d’aller chercher ce que tu n’avais pas ; tandis que je te commandais de donner, sans fatigue, ce que tu avais, au pauvre qui mendie à ta porte. Elle t’a envoyé aux Indes pour en rapporter de l’or ; moi, j’ai placé le Christ à ta porte, afin que tu puises lui acheter le royaume des cieux. Que de fatigues pour obéir à l’avarice ! et il n’y en a point pour m’obéir ! Deux voix se sont fait entendre, tu n’as pas écouté la mienne : te sauve donc le maître à qui tu as obéi.

6. Combien, hélas ! sont chargés de tels fardeaux ! Combien même qui soupirent ici sous ce faix, pendant que je m’élève contre ce poids énorme ! Ils étaient sous le joug en entrant, ils y sont en sortant ; avares ils sont entrés et ils sortent avares. Je me fatigue à parler contre ces passions ; ah ! jetez ces fardeaux, puisque vous applaudissez. D’ailleurs, ne m’écoutez pas, moi, mais écoutez votre Chef ; c’est lui qui crie : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés et accablés ». Car vous ne sauriez venir sans cesser de l’être. Vous voudriez courir jusqu’à moi ; mais la pesanteur du joug ne vous le permet pas. « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés et accablés, et je vous soulagerai ». Je vous pardonnerai les péchés passés, j’ôterai ce qui vous couvrait les yeux, je guérirai les meurtrissures de vos épaules. Mais en vous déchargeant, je n’oublierai pas de vous charger ; je vous ôterai les fardeaux qui accablent et je les remplacerai par les fardeaux qui soulagent. – Effectivement, après ces mots : « Et je vous soulagerai », le Sauveur a ajouté ceux-ci : « Enlevez sur vous mon joug ». Tu étais sous le joug d’une funeste