Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/89

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plutôt que de plaidoirie. N’hésite pas de perdre alors quelque chose ; ce que tu donnes ainsi sera le prix du temps. Quand pour tes besoins tu vas au marché, tu donnes de l’argent pour acheter du pain, du vin, de l’huile, du bois ou quelque ustensile : tu donnes ainsi et tu reçois, tu perds et tu acquiers ; c’est ce qui s’appelle acheter. Car acquérir sans rien sacrifier, c’est trouver, recevoir en don ou comme héritage ; mais acquérir en donnant, c’est acheter ; ce que l’on acquiert ainsi est acheté, ce que l’on donne en est le prix. Eh bien ! de même que tu n’hésites pas à verser de ton argent pour acheter un objet quelconque ; n’hésite pas non plus à en perdre pour acheter la tranquillité. Voilà en quoi consiste racheter le temps.

4. Il y a un proverbe punique fort connu ; je le traduirai en latin, attendu, que vous ne connaissez pas tous la langue punique. Ce proverbe est ancien, le voici : La peste te demande un sou ? donne-lui en deux et qu’elle s’en aille. Cet adage ne paraît-il pas tiré de l’Évangile ? Le Seigneur nous recommande-t-il autre chose que de racheter le temps, lorsqu’il dit : « Quelqu’un veut-il t’appeler en justice et t’enlever ta tunique ? Abandonne-lui encore ton manteau[1] ». – « Veut-il t’appeler en justice et t’enlever ta tunique ? » Veut-il te détourner de ton Dieu en te jetant dans les procès ? Tu n’aurais alors ni la paix du cœur, ni la tranquillité de l’âme ; tu serais tourmenté de soucis, irrité même contre ton adversaire : mais ce serait perdre ton temps. Ne vaut-il pas beaucoup mieux faire un sacrifice d’argent et racheter ce temps précieux ? Mes frères, j’ai donc raison, lorsque nous avons à juger vos procès et vos affaires, de conseiller à celui qui est chrétien de sacrifier quelque chose pour racheter le temps. Mais ne dois-je pas, avec plus de soin et d’assurance encore, inviter à rendre le bien d’autrui ? Car ceux que je juge sont chrétiens l’un et l’autre. Je vois l’injuste accusateur, celui qui veut faire un procès à son frère et lui enlever quelque chose, ne fût-ce que par arrangement, tressaillir à ces mots. L’Apôtre, se dit-il, recommande « de racheter le temps, parce que les jours sont mauvais ». Donc je vais attaquer ce chrétien, et bon gré, mal gré, il me cédera quelque chose pour racheter le temps, attendu que l’Évêque a parlé. – Mais dis-moi, accusateur, si je conseille à ton frère de faire un sacrifice pour conserver la paix, ne te demanderai-je pas, à toi, calomniateur, fils perdu de Satan, pourquoi tu travailles à ravir ce qui ne t’appartient pas ? Tu n’as aucun sujet de plainte et tu l’accuses ainsi ? Si je lui dis : Sacrifie quelque chose pour qu’il se désiste de ses accusations iniques ; que deviendras-tu après avoir été payé comme faux accusateur ? Sans doute il passe de mauvais jours en rachetant le temps pour détourner tes imputations calomnieuses ; mais toi, tout en profitant de tes injustes délations, tu auras non-seulement des jours mauvais ici-bas, mais, au jour du jugement, et après ceux-ci, des jours bien plus mauvais encore. Peut-être ris-tu de cette pensée en détroussant ton frère. Ris, ris encore et tourne en dérision ; je vais, moi, continuer à donner, un autre viendra te faire rendre compte.

  1. Mat. 5, 40