Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/231

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enfants de l’Église, comme il y a des enfants de l’Église, qui se cachent bien loin de nous. C’est Pourquoi, dans notre ignorance de l’avenir, voyons dans tout homme notre prochain, non seulement en vertu de cette nature humaine, qui nous fait partager avec lui le même sort ici-bas ; mais encore en vertu de l’héritage céleste, car nous ignorons ce que deviendra celui qui n’est rien maintenant.
3. Écoutez donc ce que saint Paul appelle encore se dépouiller du vieil homme, et revêtir le nouveau. « Bannissons tout mensonge, et que chacun dise la vérité à son prochain : parce que nous sommes membres les uns des autres. Mettez-vous en colère, mais ne péchez point ». Si vous vous mettez en colère contre votre serviteur qui a fait une faute, fâchez-vous contre vous-même, afin de ne point pécher. « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère »[1]. Cela se comprend, mes frères, du temps qu’elle doit durer. Car, si dans la faiblesse humaine, si dans l’infirmité de cette chair mortelle que nous portons, la colère se glisse chez un chrétien, elle ne doit point être durable, ni aller jusqu’au lendemain. Bannis-la de ton cœur, avant que se lève cette lumière visible, de peur que la lumière invisible ne t’abandonne. Toutefois, on peut bien donner à ce passage un autre sens, et l’entendre du Christ qui est pour nous la vérité, le soleil de justice non plus ce soleil qu’adorent les païens et les Manichéens, et qui luit aux yeux des pécheurs ; mais cet autre soleil qui est la lumière pour la nature humaine, et la joie des anges. Quant aux hommes, si les yeux de leurs cœurs sont trop faibles pour en supporter l’éclat, ils se purifient par la pratique des commandements, de manière à pouvoir le contempler. Quand ce soleil habitera dans l’homme par la foi, gardez-vous alors de laisser prévaloir la colère qui s’élève en vous, au point que le Christ se couche sur votre colère, ou plutôt qu’il abandonne votre âme, car il lui répugne d’habiter avec la colère. On dirait en effet qu’il s’éteint pour vous, quand c’est vous qui vous éteignez pour lui : car la colère invétérée devient une haine ; et quand il y a haine, il y a homicide. Car saint Jean l’a dit : « Quiconque hait son frère est homicide »[2]. Il a dit encore « Quiconque hait son frère demeure dans les ténèbres »[3]. Il n’est pas étonnant qu’un homme soit dans les ténèbres quand le soleil est couché pour lui.
4. Tel est peut-être encore le sens de ce que vous avez entendu dans l’Évangile : « La barque était en danger sur le lac, et Jésus dormait »[4]. Car nous voguons sur un certain lac où ne manquent ni les vents ni les tempêtes ; chaque jour les tentations du siècle sont sur le point de submerger notre navire. D’où cela vient-il, sinon de ce que Jésus est endormi ? Si Jésus ne dormait pas en toi, tu n’essuierais point ces bourrasques, mais tu jouirais du calme intérieur parce que Jésus veillerait avec toi. Qu’est-ce à dire que Jésus dort ? C’est que votre foi en Jésus-Christ est assoupie. Alors s’élèvent les tempêtes sur le lac de cette vie, tu vois l’impie fleurir, le juste dans l’affliction, c’est là l’épreuve, c’est le flot qui s’élève. Et ton âme s’écrie : Est-ce donc là, Seigneur, votre justice, que le méchant soit dans la joie, le juste dans la peine ? Tu t’en prends à Dieu. Est-ce donc là votre justice ? Et le Seigneur te répond : Est-ce donc là ta foi ? Est-ce là ce que je t’ai promis ? Est-ce pour t’épanouir en cette vie que tu es chrétien ? Tu t’affliges de voir dans la joie ces méchants, qui doivent être tourmentés avec le diable. Pourquoi ces murmures ? Pourquoi te troubler au bruit des flots et des tempêtes de cette vie ? C’est que Jésus dort, ou plutôt que ta foi en Jésus-Christ est assoupie dans ton cœur. Que fais-tu pour sortir du danger ? Eveille donc Jésus, et dis-lui : Maître, nous périssons »[5]. – Ce lac peu sûr nous effraie, nous périssons. Jésus s’éveillera, ou plutôt la foi en Jésus-Christ reviendra dans ton cœur ; et à la lumière de la foi, tu verras en ton âme que les biens donnés aujourd’hui aux méchants, ne doivent point leur demeurer toujours. Car ils doivent, ou leur échapper dès cette vie, ou du moins leur échapper à la mort. Pour toi, ce qui t’est promis, doit demeurer éternellement. Pour eux le bonheur n’a qu’un temps, il s’évanouit bientôt. « Il s’épanouit comme la fleur d’une herbe ; or, toute chair est une herbe, et l’herbe s’est desséchée, et la fleur est tombée, tandis que la parole du Seigneur demeure éternellement »[6]. Tourne donc le dos à tout ce qui tombe, et la face à tout ce qui demeure. Quand le Christ s’éveillera, ton cœur ne sera plus battu par la tempête, ni ta barque submergée par les flots : parce que ta

  1. Eph. 4,26
  2. Jn. 3,15
  3. Id. 2,9
  4. Lc. 8,23
  5. Id. 24
  6. Isa. 40,8