Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/232

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foi commandera aux vents et aux tempêtes, et le danger disparaîtra. C’est à cela, mes frères, que reviennent ces conseils que nous donne l’Apôtre de nous dépouiller du vieil homme « Mettez-vous en colère, mais ne péchez point ; que le soleil ne se couche point sur votre colère, et ne donnez aucune prise au démon »[1]. Le vieil homme lui donnait donc prise ; qu’il n’en soit point ainsi du nouveau. « Que celui qui dérobait, ne dérobe plus »[2]. Donc, le vieil homme dérobe, que le nouvel homme ne dérobe plus. Celui-là est homme aussi, c’est le même homme, il était Adam, qu’il devienne Jésus-Christ ; il était le vieil homme, qu’il soit le nouveau ; et le reste qui vient ensuite.
5. Mais voyons plus attentivement dans le psaume, que tout chrétien qui avance en perfection dans l’Église, doit souffrir les méchants dans l’Église. Toutefois, celui qui leur ressemble ne les connaît point, car le plus souvent ceux qui se plaignent des méchants sont méchants à leur tour ; et un homme en santé supportera plus facilement deux malades, que deux malades ne se supporteront mutuellement. Voici donc, mes frères, ce que nous disons : L’Église ici-bas est une aire à battre le grain. Nous l’avons souvent répété, nous le disons encore. Il y a dans cette aire de la paille et du bon grain. Gardons-nous de chercher à séparer la paille, avant que Dieu ne vienne, le van à la main. Que nul, avant ce temps, ne sorte de l’aire, comme s’il ne pouvait supporter les pécheurs : de peur que l’oiseau ne le trouve hors de l’aire et ne l’amasse avant qu’il soit entré dans les greniers célestes. Écoutez, mes frères, ce que cela signifie. Quand on commence à battre, les grains ne se touchent pas à travers les pailles, ils sont pour ainsi dire étrangers, à cause des pailles qui les séparent. Quiconque ne regarde la grange que de loin, n’aperçoit que des pailles ; il a peine à discerner le bon grain, s’il n’approche plus près, s’il n’avance la main, s’il ne souffle avec sa bouche, afin que ce souffle fasse une séparation. Il arrive donc, parfois, que les bons grains sont tellement séparés l’un de l’autre, tellement étrangers, que le chrétien qui avance en piété se croit seul. Cette pensée, mes frères, fut une tentation pour Élie, et ce grand prophète, comme l’Apôtre nous l’a rappelé, s’écriait : « Seigneur, ils ont tué vos Prophètes, renversé vos autels, et je suis demeuré seul, encore veulent-ils me faire mourir ». Mais qu’est-ce que Dieu lui répond ? « Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal »[3]. Dieu ne dit point : il y en a deux ou trois qui vous ressemblent, mais bien : Ne vous croyez pas seul, il y en a sept mille avec vous, et vous vous croyez seul ? Voici donc brièvement la recommandation que j’avais commencé à vous faire. Que votre sainteté m’écoute avec attention, et je prie Dieu qu’il touche vos cœurs dans sa miséricorde, afin que vous la compreniez, de manière qu’elle agisse et fructifie en vous. Écoutez donc en un mot : Que celui qui est encore méchant, ne croie point que nul autre n’est bon, et que, celui qui est bon, ne s’imagine pas être le seul. Comprenez-vous bien ? Je vous le répète, soyez attentifs : Que celui qui est méchant, qui interroge sa conscience, et n’en reçoit qu’un mauvais témoignage, ne s’imagine point que nul autre n’est bon ; que celui qui est bon, ne se croie pas le seul, et qu’il ne craigne pas, malgré sa justice, d’être mêlé aux méchants ; viendra le temps où il sera séparé. Aussi, aujourd’hui avons-nous chanté « Ne perdez pas mon âme avec les impies, et ma vie avec celle des hommes sanguinaires »[4]. Qu’est-ce à dire : « Ne perdez pas « avec les impies ? » ne me perdez pas, confondu avec eux. Pourquoi craint-il une même ruine ? Je crois qu’il dit à Dieu : Vous nous souffrez maintenant que nous sommes confondus, mais n’enveloppez pas dans une même ruine ceux que vous laissez confondus. Tel est le sens du psaume, que je veux examiner à ta hâte avec vous, parce qu’il est court.
6. « Jugez-moi, Seigneur »[5]. Ce vœu d’être jugé, est un vœu désagréable, et peut être dangereux pour lui. Quel est ce jugement qu’il invoque ? sa séparation d’avec les méchants. C’est ce jugement de séparation qu’il désigne clairement dans un autre psaume : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple qui n’est pas saint »[6]. Nous voyons là le sens de cette parole : « Jugez-moi ». Que les bons et les méchants n’aillent point au feu éternel, comme aujourd’hui on voit ces bons et ces méchants entrer dans l’Église, pour ainsi dire sans aucun discernement. « Jugez-moi, Seigneur ».

  1. Eph. 4,26-27
  2. Id. 28
  3. 1 R. 19,10
  4. Ps. 25,9
  5. Id. 1
  6. Ps. 42,1