Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/383

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tous ces biens nous sont communs avec les bêtes ; l’homme a reçu de plus, dans l’esprit, le don de comprendre, de saisir la vérité, de discerner le juste de l’injuste, de rechercher, d’aimer son Créateur, de le louer et de s’attacher à lui. Le méchant aussi a reçu de Dieu ces mêmes dons ; mais comme sa vie n’est pas bonne, il ne rend pas ce qu’il doit. Donc, « le pécheur emprunte et ne paiera point » ; il ne rend rien à celui dont il a reçu, pas même l’action de grâces ; il lui rendra même le mal pour le bien, le blasphème, le murmure contre sa Providence, l’emportement.« Il emprunte alors, et ne paiera point ; quant au juste, il a de la pitié et il prête ». L’un n’a donc rien et l’autre possède. Voyez la richesse de l’un et la pauvreté de l’autre. L’un a reçu et ne rendra point ; l’autre a de la miséricorde et prête ; il a du bien en abondance. Et pourtant, s’il est pauvre ? même en ce cas il est riche. Ouvrez seulement les yeux de la foi sur les richesses. Tu peux bien voir un coffre vide, mais tu ne vois pas une conscience que Dieu même remplit. Il n’a point les richesses du dehors, mais il a au dedans la charité Que ne peut lui faire donner cette charité sans qu’elle s’épuise ? S’il a des biens extérieurs, la charité en donne, et elle donne de ce qu’elle a ; si elle ne trouve point eu dehors de quoi donner, elle donne sa bienveillance, elle donne un bon conseil, si elle le peut ; elle donne du secours, si elle en est capable ; enfin, si elle ne peut donner ni conseil ni secours, elle assiste de ses vœux, elle prie pour celui qui est dans l’affliction, et peut-être sa prière est-elle plus agréable à Dieu que le pain que donne un autre. Il a donc toujours de quoi donner, celui dont le cœur est plein de charité. Car c’est la charité que l’on appelle bonne volonté. Et Dieu n’exige pas de toi plus qu’il n’a mis dans ton cœur. La bonne volonté, en effet, ne peut demeurer oisive ; avec la bonne volonté tu ne refuseras point au pauvre le dernier sou qui te reste. Les pauvres eux-mêmes trouvent dans la bonne volonté de quoi s’assister mutuellement, et ils ne sont pas inutiles l’un pour l’autre. Tu vois un homme qui a de bons yeux conduire un aveugle ; n’ayant point d’argent à lui donner, il prête ses yeux à celui qui n’en a point. Mais pourquoi ses membres sont-ils au service de celui qui n’en a pas, sinon parce qu’il a dans l’âme une bonne volonté, qui est le trésor des pauvres ? trésor qui est un doux repos, une véritable sécurité ; trésor que le voleur ne nous enlève pas, et pour lequel on ne craint pas de naufrage ; on le garde avec foi quand on le possède ; on peut s’échapper tout nu, et néanmoins comblé de richesses. « Le juste a de la pitié, et il prête ».
14. « Mais ceux qui le bénissent auront la terre en héritage »[1] ; ceux qui bénissent le juste, le seul vraiment juste et qui donne la justice, qui fut pauvre ici-bas en y apportant les grandes richesses dont il devait combler ceux qu’il y trouve véritablement pauvres. C’est lui, en effet, qui a enrichi de l’Esprit-Saint les cœurs des pauvres, qui a comblé de l’or de la justice les âmes qui s’anéantissaient par l’aveu de leurs péchés ; lui qui a pu enrichir le pêcheur qui abandonnait ses filets, et qui méprisait ce qu’il avait pour saisir ce qu’il n’avait pas[2]. « Car Dieu a choisi ce qui est faible dans le monde, pour confondre ce qui est fort »[3]. Il ne s’est point servi d’un orateur pour gagner un pêcheur, mais d’un pêcheur pour gagner l’orateur, d’un pêcheur pour gagner l’homme du sénat, d’un pêcheur encore pour gagner le maître de l’empire. « Ceux qui le bénissent posséderont la terre en héritage » ; ils seront ses cohéritiers dans cette terre des vivants dont il est dit dans un autre psaume : « Vous êtes mon espérance et mon héritage dans la terre des vivants »[4]. « Vous êtes mon héritage », dit-il à Dieu, il ne craint pas de s’arroger la possession de Dieu même. « Ils posséderont la terre en héritage ; mais ceux qui le maudissent périront ». Or, ceux qui le bénissent ne le font que par sa grâce. Car il est venu vers ceux qui le maudissaient, et ils l’ont béni ; et c’est déjà périr pour ceux qui le maudissent, que de le bénir sous le poids de sa grâce ; ils le maudissaient par leur propre malice, et ils le bénissent par le don qu’il leur fait.
15. Écoutez ce qui suit : « Le Seigneur dirige les pas des hommes, et ils chercheront ses voies »[5]. Pour que l’homme recherche les voies du Seigneur, il faut que le Seigneur lui-même dirige ses pas. Si le Seigneur n’eût en effet dirigé les pas des hommes, ils eussent été eux-mêmes si corrompus et eussent marché dans une telle dépravation,

  1. Ps. 36,22
  2. Mt. 4,19
  3. 1 Cor. 1,27
  4. Ps. 141,6
  5. Id. 36,23