Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/382

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aiguillons lui déchiraient la conscience. Nous avions tenté de le consoler avec la parole de Dieu ; mais il n’était pas de ces sages fourmis qui amassent en été de quoi vivre en hiver. Quand un homme est en paix, il doit s’appliquer à recueillir la parole de Dieu, à la cacher dans le fond de son cœur, comme la fourmi abrite dans ses galeries souterraines ses travaux de l’été[1]. Voilà ce que l’on doit faire pendant l’été ; vient ensuite l’hiver ou le temps des afflictions ; et si nous ne trouvons en notre cœur de quoi vivre, il faut mourir de faim. Cet homme donc n’avait point recueilli la parole de Dieu, et l’hiver est venu, il n’a point trouvé ici ce qu’il cherchait : on ne pouvait le consoler que par là, et nullement par la parole de Dieu. Il n’avait rien à l’intérieur, et il cherchait à l’extérieur ce qu’il ne trouvait point : les sentiments de la douleur et de l’indignation le dévoraient, son âme était en proie à la plus violente agitation, qu’il cacha longtemps, jusqu’à ce qu’enfin ses gémissements éclatèrent et retentirent même à son insu parmi nos frères. C’était avec la plus vive douleur, Dieu le sait, que nous voyions cette âme si affligée, et devenue la proie de ces tortures, de ces flammes intérieures, de ces déchirements ; que vous dirai-je ? Ne pouvant se tenir dans un lieu si humble, qui eût pu être pour lui un lieu si salutaire, il nous parut encore mériter l’expulsion. Toutefois, mes frères, nous ne devons point pour cela désespérer des autres, qui pouvaient revenir par amour de la vérité, et non sous l’empire de la nécessité. Bien loin de désespérer des autres, je ne désespère pas même de celui dont je vous parle tant qu’il est en vie : car nous ne devons désespérer d’aucun homme qui est sur la terre. Il était bon de vous faire connaître ces détails, de peur qu’on ne vous les racontât autrement ; car un de leurs sous-diacres qui, sans aucune contestation avec eux, a choisi la paix et l’unité catholique et les a quittés pour venir à nous ; qui est venu comme en faisant choix de ce qui est bon, et non comme expulsé même par les méchants, a été reçu chez nous et nous a réjouis d’une conversion que nous recommandons à vos prières. Car Dieu est puissant et peut l’améliorer de plus en plus. D’ailleurs, nous ne devons prononcer ni en bien ni en mal sur le sort de personne. Pendant toute notre vie, en effet, notre lendemain est toujours ignoré. « Ils ne seront point confondus au temps mauvais ; ils seront rassasiés au jour de la famine, tandis que les pécheurs périront ».
12. « Quant aux ennemis de Dieu, aussitôt qu’ils se glorifieront et s’élèveront avec orgueil, ils disparaîtront comme la fumée qui s’évanouit »[2]. Voyez à cette comparaison ce qu’il a voulu nous enseigner. La fumée s’échappe du lieu où est le feu, s’élève dans les airs, et en s’élevant, grossit en tourbillon ; mais plus le tourbillon se dilate, plus il est vide ; or, cette immensité qui n’a ni appui ni solidité, qui est suspendue dans les airs, se dissipe à mesure qu’elle gagne les hautes régions et s’évanouit ; ses proportions démesurées ont fait sa perte. En effet, plus elle s’élève, plus elle se dilate, plus ses proportions grandissent, et plus elle diminue d’intensité, se dissipe et disparaît. « Or, les ennemis de Dieu, en se glorifiant et en s’exaltant, s’évanouiront bientôt comme la fumée » ; c’est d’eux qu’il est dit : « Comme Jannès et Mambrès résistèrent à Moïse, ceux-ci de même résistent à la vérité : ce sont des hommes corrompus dans l’esprit et pervertis dans la foi »[3]. D’où vient leur résistance à la vérité, sinon de cette enflure de cœur qui en fait le jouet des vents, qui les porte à s’élever comme s’ils avaient de la justice et de la grandeur ? Qu’eut dit l’Apôtre ? ce qui est dit de la fumée : « Mais ils n’iront pas au-delà, car leur folie sera connue de tout le monde, comme le fut alors celle de ces hommes[4]. Quant aux ennemis de Dieu, dès qu’ils se glorifieront et s’élèveront, ils s’évanouiront bientôt comme la fumée ».
13. « L’impie emprunte et ne paiera point »[5]. Il recevra et ne rendra pas. Qu’est-ce qu’il ne rendra pas ? l’action de grâces. Qu’est-ce, eu effet, que Dieu veut de vous, ou qu’en exige-t-il, sinon ce qui vous est utile ? Que de bienfaits n’a pas reçus le méchant, dont il ne rendra rien ? S’il existe, c’est un don ; s’il est homme et bien supérieur aux animaux, c’est un don ; c’est un don encore que la forme de son corps ; et dans ce corps même, c’est un don que le discernement des sens, que des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, des narines pour sentir, un palais pour goûter, des mains pour toucher, des pieds pour marcher, un don que la santé du corps. Mais

  1. Prov. 6,6 ; 30,25
  2. Ps. 36,20
  3. 2 Tim. 3,8
  4. Id. 9
  5. Ps. 36,21