Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/394

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plus que tu n’as donné, non pas ton argent seulement, mais quelque chose de plus que tu n’as prêté, soit en froment, soit en vin, soit en huile, soit en toute autre denrée ; si, dis-je, tu espères plus que tu n’as donné, tu es usurier, et en cela tu es plus blâmable que louable. Comment donc faire, me diras-tu, pour tirer un certain profit d’un prêt ? Vois ce que fait le prêteur à usure. Il veut assurément donner moins et retirer plus ; fais de même donne peu, et reçois plus. Vois les proportions larges que prendra ton usure. Donne les biens temporels et tu recevras ceux de l’éternité ; donne la terre, tu recevras le ciel. Mais à qui la donner ? me diras-tu peut-être. Voilà Dieu qui se présente, pour que tu la lui prêtes à usure, lui qui te défendait l’usure. Écoute dans l’Écriture comment tu prêteras au Seigneur : « Celui-là prête à usure au Seigneur », est-il dit, « qui a pitié du pauvre[1] ». Assurément Dieu n’a pas besoin de toi, mais un autre en a besoin. Ce que tu donnes à l’un, l’autre le reçoit pour lui. Car le pauvre n’a rien à te rendre ; il le voudrait faire, mais il ne trouve rien ; il ne lui reste que la bonne volonté de prier pour toi. Or, un pauvre qui prie pour toi, semble dire à Dieu : Seigneur, j’ai fait un emprunt, soyez ma caution. En ce cas, si le pauvre n’est pas solvable, tu auras dans Dieu une belle garantie. Voilà que Dieu te dit dans les Écritures : Donne sans crainte, c’est moi qui suais caution. Que disent ordinairement les hommes qui garantissent ? Quel est leur langage ? C’est moi qui vous le rendrai, c’est moi qui reçois, c’est à moi que vous le donnez. Croyez-vous que Dieu vous dise aussi : C’est moi qui reçois, c’est à moi que tu donnes ? Oui, assurément, si le Christ est Dieu, comme je n’en doute pas, lui qui a dit : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ». Et comme on lui demandait : « Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ? » afin de nous montrer qu’il est réellement caution pour les pauvres, qu’il répond pour tous ses membres, car il est le chef et eux sont les membres, et ce que reçoivent les membres, le chef le reçoit aussi : « Ce que vous avez fait au moindre de ceux qui m’appartiennent », répond-il, « c’est à moi que vous l’avez fait ». Courage donc, usurier avare, vois ce que tu as donné, vois ce que tu recevras. Si tu n’avais donné qu’une modique somme d’argent, et que l’emprunteur te donnât pour cette modique somme une magnifique villa d’un prix bien supérieur à l’argent que tu as donné, quelles actions de grâces tu lui rendrais, quelle joie serait la tienne ! Écoute quel domaine va te donner ton emprunteur : « Venez, bénis de mon Père, recevez », quoi ? ce que vous avez donné ? Oh ! non. Vous avez donné des richesses terrestres, qui se seraient rouillées en terre, si vous ne les aviez prêtées. Qu’en eussiez-vous fait si vous ne les eussiez données ? Ce qui devait périr dans la terre, se conserve dans le ciel. C’est donc ce dépôt conservé que nous devons recevoir. C’est votre mérite qui est conservé, et c’est ce mérite qui est votre trésor. Vois, en effet, ce qui va t’échoir : « Recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Quelle parole, au contraire, entendront ceux qui n’ont rien voulu prêter ? « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges ». Et que faut-il entendre par ce royaume ? Ecoutes ce qui suit : « Ceux-ci iront au feu éternel, et les justes dans la vie éternelle[2] ». Voilà ce qu’il faut ambitionner, ce qu’il faut acheter, ce qu’il faut acquérir par des usures. Celui qui vous tend la main sur la terre, c’est le Christ qui règne dans les cieux. Voilà comment prête le juste : « Tout le jour il est pris de pitié, et il prête à usure ».
7. « Et sa race sera en bénédiction[3] ». Ici rejetons toute pensée charnelle. Nous voyons bien souvent mourir de faim les enfants du juste ; comment donc « sa postérité sera-t-elle dans la bénédiction ? » Cette race doit s’entendre de ses œuvres, ce qu’il sème pour récolter ensuite. Car l’Apôtre a dit : « Ne nous lassons pas de faire le bien ; car nous moissonnerons dans le temps, sans nous fatiguer. C’est pourquoi, pendant qu’il en est temps, faisons du bien à tous[4] ». Telle est votre postérité qui sera en bénédiction. Tu confies une semence à la terre, et tu la recueilles au centuple, et tu la perdrais en la confiant au Christ ? Remarque bien le mot de semence expressément employé par l’Apôtre à propos des aumônes. Voici ses paroles : « Celui qui sème peu recueillera peu ; et celui qui sème dans la bénédiction moissonnera dans les bénédictions[5] ». Mais peut-être est-ce pour toi une peine de semer, et ton cœur est-il

  1. Prov. 19,17
  2. Mt. 25,34-46
  3. Ps. 36,26
  4. Gal. 6,9
  5. 2 Cor. 9,6