Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/395

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ému à la vue des malheureux. Car nul doute qu’un jour nous ne soyons plus heureux de n’avoir plus personne à soulager. Quand tous seront devenus incorruptibles, il n’y aura plus ni affamé à qui tu puisses donner à manger, ni altéré à qui donner à boire, ni homme nu à revêtir, ni étranger à recevoir ; mais ici-bas nous semons dans les larmes, dans les tentations, dans les douleurs, dans les gémissements. Vois ce que dit un autre psaume : « Ils allaient et pleuraient en répandant leur semence ». Vois aussi que « sa semence sera en bénédiction : – mais ils reviendront avec joie en portant leurs gerbes[1] ».
8. Vois donc ce qui suit et abjure la paresse : « Evite le mal et fais le bien[2] ». Garde-toi de croire qu’il te suffira de ne point enlever à un homme son vêtement. Ne pas le dépouiller, c’est s’abstenir du mal ; mais ne le dessèche pas, ne deviens pas stérile. Sache tout à la fois, et ne pas dérober le vêtement, et revêtir celui qui est nu. C’est là éviter le mal pour faire le bien. Que m’en reviendra-t-il, diras-tu ? Déjà celui à qui tu as prêté, t’a dit ce qui t’en reviendra ; il te donnera la vie éternelle, prête-lui sans crainte. Écoute encore ce qui suit : « Détourne-toi du mal et fais le bien ; et tu habiteras les siècles des siècles ». Et ne va point croire que tes dons ne soient vus de personne, ou que Dieu t’abandonne quand, après une aumône faite à l’indigent, il te survient quelque dommage ou quelque perte à déplorer ; ne dis pas : De quoi me sert d’avoir fait de bonnes œuvres ? Je crois que Dieu n’aime point ceux qui font le bien. – D’où vient, mes frères, ce bruit, ce murmure, si ce n’est que l’on entend souvent ce langage ? Chacun le reconnaît à cet instant, ou dans sa propre bouche, ou dans bouche d’un voisin, ou dans celle d’un ami. Je supplie Dieu de le faire disparaître et d’arracher toutes les épines de son champ ; qu’il y mette le bon grain et l’arbre fruitier. – Pourquoi donc, ô homme, après avoir fait aumône, t’affliger d’une perte que tu essuies ? Ne vois-tu pas que tu perds ce que tu n’avais pas donné. Pourquoi ne pas jeter les feux sur le Dieu que tu sers ? Où est donc ta loi ? Pourquoi dort-elle ainsi ? Réveille-la dans ton cœur. Écoute ce que le Seigneur lui-même t’a dit, quand il t’exhortait à faire ces sortes de bonnes œuvres : « Faites-vous des bourses qui ne s’usent point, un trésor qui ne s’épuise jamais, dans ce ciel dont n’approche pas le voleur »[3]. Rappelle-toi ces paroles quand une perte t’afflige. Pourquoi pleurer, ô insensé, ô homme au cœur étroit, sinon dépravé ? Pourquoi as-tu perdu, sinon parce que tu n’as pas prêté ? Pourquoi cette perte ? qui te la fait essuyer ? Le voleur, diras-tu. Ne t’avais-je donc point averti de ne rien mettre où le voleur peut venir ? Si donc il s’afflige, celui qui essuie une perte, qu’il s’afflige de n’avoir point placé son argent où il n’aurait pu le perdre.
9. « Car le Seigneur aime la justice, et il n’abandonnera point ses saints[4] ». Quand les saints sont dans la peine, gardez-vous de croire que Dieu ne juge point les hommes, ou qu’il les juge sans équité. Celui qui t’avertit de juger avec justice, pourrait-il juger d’une manière perverse ? « Il aime donc la justice et n’abandonne point ses saints ». Mais il agit de manière que la vie des saints soit cachée en lui, et que tous ceux qui souffrent sur la terre soient comme des arbres que l’hiver a dépouillés de leurs fruits et de leur feuillage ; mais, quand il apparaîtra comme un soleil nouveau, ils montreront par des fruits la vie qu’ils conservaient dans leur racine. « Il aime donc la justice et n’abandonnera point ses saints ». Mais ce saint souffre de la faim ? Dieu ne l’abandonnera pas, « lui qui afflige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants[5] ». Tu le méprises quand il est dans la peine, tu seras dans la stupeur à la vue de ses richesses. D’où lui vient sa peine ? Des maux passagers. Quand sera-t-il dans les richesses ? Quand il entendra : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous est préparé dès l’origine du monde[6] ». Ne recule donc point devant la peine, afin d’être parmi ceux qui méritent d’être admis. Dieu aime tellement la justice qu’il n’abandonne point les saints, bien qu’il les afflige pour un temps ; et comme il afflige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants, il n’a pas épargné son Fils unique, bien qu’il ne trouvât en lui aucun péché. « Le Seigneur donc aime la justice, et il n’abandonne point ses saints ». Mais s’il ne les abandonne pas, leur donnera-t-il par hasard ce que tu désires ici-bas, des années

  1. Ps. 125,6
  2. Ps. 36,27
  3. Lc. 12,33
  4. Ps. 36,28
  5. Héb. 12,6
  6. Mt. 25,34