Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/427

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 Mais c’est en vain que l’homme se trouble en cette vie »[1]. Il en revient à ce qu’il a dit un peu plus haut : quel que soit le progrès de l’homme, il se trouble vainement en cette vie, puisqu’il est dans l’incertitude. Qui peut être assuré même de son propre bien ? « C’est en vain qu’il se trouble ». Qu’il jette ses anxiétés au sein de Dieu[2], qu’il y jette ses inquiétudes, que ce soit Dieu qui le nourrisse et qui le garde. Qu’y a-t-il ici-bas de certain, sinon la mort ? Considérez tous les liens ou tous les maux de cette vie, dans la justice ou même dans l’injustice, qu’y a-t-il ici-bas de certain, sinon la mort ? Tu avances dans la vertu : tu sais ce que tu es aujourd’hui ; mais tu ne sais ce que tu seras demain. Tu es pécheur : tu sais ce que tu es aujourd’hui ; tu ne sais ce que tu seras demain. Tu espères de l’argent, tu ne sais s’il arrivera. Tu espères une Épouse, tu ne sais si tu l’obtiendras, ni celle que tu auras. Tu espères des enfants, tu ne sais s’il t’en naîtra ; sont-ils nés, tu ne sais s’ils vivront ; vivent-ils, tu ne sais si la santé les favorisera ou leur fera défaut. Tourne-toi de toutes parts, tu ne vois qu’incertitude : la mort seule est certaine. Tu es pauvre, il n’est pas certain que tu deviennes riche ; tu es ignorant, il n’est pas certain que tu deviennes savant ; tu es malade, il n’est pas certain que tu guérisses. Tu es né, il est certain que tu mourras ; et en cela même la mort est certaine, le jour de la mort est incertain. Dans toutes ces incertitudes, il n’y a que la mort qui soit certaine ; encore son heure est-elle incertaine, et il n’y a que la mort que l’on cherche à éviter, bien qu’elle soit inévitable. « Tout homme vivant est vainement troublé ».
20. Bien au-dessus de toutes ces frivolités, touchant déjà aux biens supérieurs, foulant aux pieds les choses terrestres auxquelles néanmoins il serait réduit, « Seigneur », s’écrie Idithun, « exaucez ma prière »[3]. De quoi me faut-il me réjouir, de quoi gémir ? Je me réjouis de ce qui est déjà passé, je gémis de ce qui me reste encore. « Exaucez ma prière et mes supplications, prêtez l’oreille à mes sanglots. » Est-ce à dire qu’après m’être lancé de la sorte, et avoir franchi tant d’obstacles, je n’ai plus rien à pleurer ? N’ai-je pas à pleurer davantage ? « Car, multiplier la science, c’est multiplier la douleur »[4] N’est-il pas vrai que, plus je désire ce que je n’ai point encore, plus je gémis jusqu’à ce qu’il arrive, plus je répands de larmes jusqu’à ce que j’en jouisse ? N’est-il pas vrai que plus les scandales se multiplient, que plus abonde l’iniquité, que plus la charité se refroidit, et plus je dis : « Qui donnera de l’eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes ?[5] Exaucez ma prière et mes supplications ; prêtez l’oreille à la voix de mes sanglots ». Ne restez point muet éternellement. « Ne vous taisez pas devant moi » ; je vous écouterai. Car le Seigneur a un langage secret ; il parle au cœur de beaucoup et dans ce silence du cœur un grand bruit se fait entendre, quand le Seigneur dit à haute voix : « C’est moi qui suis ton salut. Dites à mon âme : C’est moi qui suis ton salut »[6]. En disant : « Ne vous taisez point devant moi », il demande au Seigneur que cette voix qui lui dit : « Je suis ton salut », ne se taise jamais dans son cœur.
21. « Car je suis un étranger devant vous »[7]. Moi étranger, chez qui ? Quand j’étais chez le diable, j’étais étranger, mais j’avais un détestable maître d’hôtel ; maintenant je suis déjà chez vous, mais encore étranger. Comment suis-je étranger ? Oui, étranger pour l’endroit d’où je dois émigrer encore, et non pour celui où je dois demeurer éternellement. Que l’on appelle ma demeure l’endroit où je serai éternellement ; mais quand je dois émigrer, je suis étranger ; et pourtant je suis étranger chez Dieu, quoique je doive y avoir une demeure pour toujours. Mais quelle est cette maison où je dois aller en quittant ce lieu de passage ? Reconnaissez donc la demeure splendide dont saint Paul a dit : « Dieu nous donnera une habitation, une maison que l’homme n’a point faite, une demeure éternelle dans les cieux »[8]. Mais, si cette maison du ciel est éternelle, une fois que nous y serons arrivés, nous ne serons plus étrangers. Comment serais-tu étranger dans une demeure éternelle ? Ici-bas, toutefois, où le maître de la maison doit te dire : Va, sans savoir quand le dira-t-il, sois toujours prêt. Or, tu seras prêt, si tu désires la demeure éternelle. Garde-toi de lui en vouloir, parce qu’à son gré il te dit : « Pars ». Il n’a point souscrit d’obligation envers toi, il ne s’est engagé à rien, et tu n’es

  1. Ps. 38,12
  2. Id. 54,23
  3. Id. 38,13
  4. Eccl. 1,18
  5. Jer. 9,1
  6. Ps. 34,3
  7. Id. 38,13
  8. 2 Cor. 5,1