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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/468

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nous a soumis à la peine, et que ces nombreuses tribulations ne viennent point d’en haut, c’est là chanter sur la harpe. Car alors c’est d’en bas que s’exhale cette harmonie suave. Nous souffrons et nous chantons sur le psaltérion, ou plutôt, nous chantons et nous jouons de la harpe. Quand l’Apôtre disait que pour obéir à Dieu il annonçait l’Évangile et le prêchait par toute la terre, parce qu’il n’avait reçu, disait-il, cet Évangile ni d’un homme, ni par l’intermédiaire d’un homme, mais bien de Jésus-Christ, les cordes de sa harpe résonnaient d’en haut ; mais quand il disait : « Nous mettons notre gloire dans les afflictions, sachant que l’affliction engendre la patience, la patience la pureté, et la pureté l’espérance », sa harpe résonnait d’en bas, et néanmoins avec harmonie. Car toute patience est agréable à Dieu. Mais c’est briser la harpe que défaillir dans la tribulation. Comment donc dit-il maintenant : « Je vous chanterai sur la harpe ? » parce qu’il avait dit : « Pourquoi marcher dans la tristesse quand l’ennemi m’afflige ? » Il souffrait alors dans son âme inférieure, et néanmoins il voulait en cela plaire à Dieu, il brûlait du désir de lui rendre grâces en souffrant avec courage : et comme il ne pouvait vivre ici-bas sans souffrir, il était redevable à Dieu de sa patience. « Je vous chanterai sur la harpe, ô Dieu, mon Dieu ».
6. Et s’adressant à son âme, pour tirer des sous suaves de ce bois inférieur et harmonieux : « D’où te vient cette tristesse », lui dit-il, « ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » Dans la peine où je suis, dans les langueurs, dans les chagrins, pourquoi me troubler, ô mon âme ? Quel est l’interlocuteur ? et à qui s’adresse-t-il ? Il parle à son âme, nous le voyons tous ; il est clair que le discours est pour elle. « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » On demande qui est l’interlocuteur. Est-ce la chair qui s’adresse à l’âme, cette chair qui sans l’âme ne parle point ? Il convient mieux en effet à l’âme de s’adresser à la chair, qu’à la chair de s’adresser à l’âme. Toutefois il n’est pas dit : D’où te vient cette tristesse, ô ma chair ; mais bien : D’où te vient cette tristesse, ô mon âme ? S’il s’adressait à la chair, il ne dirait peut-être pas : D’où te vient ta tristesse ; mais : D’où te vient ta douleur ; car la douleur de l’âme s’appelle tristesse, tandis que ce que l’on souffre dans la chair s’appelle douleur et ne peut se dire tristesse. Et pourtant, la douleur corporelle produit d’ordinaire la tristesse de l’âme. Mais il n’en est pas moins une différence entre la douleur et la tristesse ; car la douleur est pour la chair, la tristesse pour l’âme. Aussi est-il dit clairement : « Pourquoi, mon âme, es-tu triste ? » Car ce n’en point l’âme qui s’adresse à la chair, puisqu’il ne dit point : D’où te vient cette tristesse, ému chair ? ce n’est pas non plus la chair qui s’adresse à l’âme ; il serait absurde qu’un inférieur parlât ainsi au supérieur. Nous comprenons dès lors qu’il est en nous une image de Dieu, c’est-à-dire l’esprit et la raison. C’est l’esprit qui tout à l’heure en appelait à la lumière de Dieu, et à la vérité de Dieu. C’est lui qui nous apprend ce qui est juste et ce qui est injuste ; lui qui nous fait discerner le vrai du faux ; lui que l’on appelle intelligence, et qui n’est point dans les bêtes ; lui que nul ne peut négliger en lui préférant tout le reste et en se méprisant comme s’il n’en avait point, sans entendre ces reproches du Psalmiste : « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’intelligence »[1]. C’est donc en nous l’esprit qui s’adresse à l’âme. Celle-ci est abattue par la tribulation, fatiguée par les angoisses, resserrée par les tentations, accablée sous les travaux. L’esprit qui reçoit d’en haut la vérité, relève cette âme en disant : « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? »
7. Voyez si ce langage ne nous reporte point à ce conflit dont nous parle saint Paul, figure alors de beaucoup de chrétiens, de nous-mêmes peut-être, quand il disait : « Selon l’homme intérieur, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une autre loi »[2] ; c’est-à-dire, des mouvements de la chair : et dans cet antagonisme, comme saisi d’un certain désespoir, il invoque la grâce de Dieu : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ? »[3] Tels sont les lutteurs que Notre. Seigneur a daigné personnifier en lui quand il a dit : « Mon âme est triste jusqu’à la mort »[4]. Car il savait ce qu’il était venu faire au monde. Pouvait-il craindre les souffrances, celui qui avait dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la

  1. Ps. 31,9
  2. Rom. 7,22
  3. Id. 25
  4. Mt. 26,38