Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/469

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reprendre ; nul ne peut me l’ôter, mais je la donne moi-même, afin que je la reprenne le nouveau[1] ? » Or, en disant : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », il figurait quelques-uns de ses membres. Souvent, en effet, l’âme croit sincèrement, elle croit que l’homme, selon les enseignements de la foi, passera au sein d’Abraham ; elle le croit, et néanmoins, quand elle arrive à l’heure la mort, elle se trouble à cause de ses habitudes en cette vie ; elle se relève pourtant afin d’entendre la voix intérieure de Dieu, jusqu’à saisir intérieurement une spirituelle harmonie. Car, dans le silence, une mélodie céleste se fait entendre, non plus aux oreilles, mais à l’âme ; en sorte que tout bruit du corps devient un ennui pour celui qui choisit cette mélodie, et que toute la vie humaine n’est plus qu’un bruit fâcheux, qui l’empêche d’entendre ce concert plein de charmes, ravissant, ineffable. Qu’un trouble, en effet, vienne l’en distraire, l’homme souffre violence ; et, s’adressant à son âme : « Pourquoi », lui dit-il, « cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » Serait-ce peut-être parce qu’il est difficile que la vie soit pure au jugement de celui qui sait juger avec tant d’exactitude et de lumière ? Bien qu’une vie soit irréprochable aux yeux des hommes, et qu’ils n’y puissent rien reprendre avec justice, les yeux de Dieu sont perspicaces, la règle de sa justice n’est point sujette à l’erreur, et il trouve à reprendre dans un homme ce que les hommes n’y voyaient point de blâmable, ce que ne découvrait pas intérieurement celui-là même qui est jugé. Telles sont, peut-être, les appréhensions qui troublent notre âme ; et l’esprit lui jetterait cette apostrophe : Pourquoi te troubler à cause de tes péchés que tu ne peux éviter entièrement ? « Espère dans le Seigneur, car je le confesserai de nouveau ». Ce dialogue guérit une partie de ses maux, une fidèle confession purifie le reste. Crains donc si tu dis que tu es juste, si tu n’es pénétré de cette autre parole du psaume : « N’entrez point en jugement avec votre serviteur ». Pourquoi : « N’entrez point en jugement avec votre serviteur ? » C’est que j’ai besoin de votre miséricorde. Et si votre miséricorde n’est pour rien dans votre jugement, où irai-je ? « Si vous examinez toutes les iniquités, Seigneur, qui pourra tenir devant vous, ô mon Dieu[2] ? » « N’entrez donc point en jugement avec votre serviteur, car nul homme vivant ne paraîtra juste devant vous »[3]. Donc, si nul homme vivant n’est juste en votre présence, malheur à quiconque vit ici-bas, quelle que soit la pureté de sa vie, si Dieu entre en jugement avec lui ! C’est pourquoi Dieu, par un autre prophète, prend ainsi à partie les hommes arrogants et superbes : « Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi ? vous m’avez tous abandonné, dit le Seigneur »[4]. Garde-toi donc d’entrer en jugement avec Dieu ; efforce-toi d’être juste, et, quelle que soit ta justice, fais l’aveu de tes fautes ; espère toujours la miséricorde ; et, dans cet humble aveu, dis sans crainte à cette âme qui te trouble et qui se soulève contre toi : « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » Tu voulais peut-être espérer en toi-même ? « Espère en Dieu », non pas en toi. Qu’es-tu par toi-même ? Qu’il soit pour toi la santé, celui qui a souffert tant de blessures pour toi. « Espère dans le Seigneur », dit le Prophète, « car je le confesserai de nouveau ». Que lui confesseras-tu ? « Qu’il est le salut à mes yeux, qu’il est mon Dieu ». Vous êtes le salut qu’attendent mes yeux, et vous une guérissez. Malade, je m’adresse à vous : je vous reconnais pour mon médecin, et je ne vante point ma santé. Qu’est-ce à dire : Je reconnais en vous mon médecin, et je ne vante point ma santé ? C’est ce qui est marqué dans un autre psaume : « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous »[5].
8. C’est là, mes frères, une parole sûre : mais veillez à faire de bonnes œuvres. Touchez du psaltérion, en obéissant aux préceptes ; touchez de la harpe, en souffrant les maux de ce monde. Vous venez d’entendre cette parole d’Isaïe : « Partage ton pain avec celui qui a faim »[6]. Ne va pas croire qu’il suffise de jeûner. Ton jeûne peut t’affliger, mais sans soulager le pauvre. Tes angoisses te seront fructueuses, quand elles soulageront la peine des autres. Voilà que tu refuses quelque chose à ton âme, à qui donneras-tu ce que tu t’es retranché ? Où mettras-tu ce que tu as ainsi épargné ? Combien le dîner dont aujourd’hui nous nous sommes privés aurait pu nourrir

  1. Jn. 10,17-18
  2. Ps. 129,3
  3. Id. 142,2
  4. Jer. 2,29
  5. Ps. 40,5
  6. Isa. 58,7