Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/484

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sur ses lèvres ». C’est lui qui t’a fait, et fait gratuitement. Il n’aurait pu faire du bien à aucun homme sans le créer d’abord. Tu étais perdu, et il t’a recherché ; et en te retrouvant il t’a ramené dans le bon chemin. Sans te reprocher le passé, il t’a promis pour l’avenir. Il est donc vrai que ce la grâce est « répandue sur ses lèvres ».
8. « Aussi », dit le Psalmiste, « Dieu vous a-t-il béni éternellement ». Il est bien difficile de comprendre que Dieu le Père dise à son Fils : « Aussi le Seigneur vous a-t-il béni pour l’éternité ». Il serait plus aisé d’attribuer cette parole au Prophète ; on trouve en effet dans les saintes Écritures ces changements de personnes, si brusques et si inattendus ; pour le lecteur attentif, les pages sacrées en sont pleines : « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes, des langues menteuses » et aussitôt : « Que vous donner, comment vous défendre contre les langues trompeuses ? »[1] C’est une personne au premier verset, une autre personne au second ; l’une prie, l’autre vient au secours. « Elles sont aiguës les flèches de l’homme puissant, elles dévorent comme la flamme ». C’est une personne, autre encore que celle-ci : « Que vous donner, et comment vous défendre ? » puis en vient une autre encore pour nous dire : « Hélas ! combien mon exil est long à mon impatience ». Tant de changements dans si peu de versets stimulent notre attention : l’Écriture n’en marque point l’endroit, elle ne nous dit point : Cette parole est d’un homme, cette autre de Dieu ; mais elle nous force à chercher dans les paroles ce qui est de l’homme et ce qui est de Dieu. C’est un homme qui disait : « Une bonne parole s’est échappée de mon cœur, c’est au Roi que je dis mes œuvres ». Voilà ce que disait l’homme, ce que disait l’écrivain du psaume, mais il le disait dans la personne de Dieu : c’est en son propre nom qu’il commence à dire : « C’est pour cela que Dieu t’a béni pour l’éternité ». Car Dieu avait dit : « La grâce est épanouie sur vos lèvres », à celui qu’il avait fait plus beau que les enfants des hommes, à cet homme que l’Éternel avait engendré éternellement comme Dieu. Le Prophète est donc plein d’une joie ineffable ; et, considérant tout ce que Dieu le Père a révélé de son Fils à un homme qui a pu parler ainsi au nom de Dieu, il s’écrie : « Aussi Dieu vous a-t-il béni pour l’éternité ». Pourquoi ? À cause de la grâce. Et où tend cette grâce ? Au royaume des cieux. Le premier Testament avait promis la terre ; et autre fut la récompense ou la promesse de Dieu à ceux qui vivaient sous la loi, autre à ceux qui vivent sous la grâce ; aux Juifs placés sous la loi, la terre de Chanaan ; à ceux qui vivent sous la grâce, le royaume des cieux. C’est pourquoi ce royaume, qui appartenait à ceux qui vivaient sous la loi, a passé avec la terre ; mais le royaume du ciel, promis à ceux qui vivent sous la grâce, ne passe point. C’est pour cela, dit le Prophète, ce que Dieu vous a bénis, non pour un temps, mais ce pour l’éternité ».
9. D’autres ont préféré attribuer à la personne du Prophète toutes les paroles précédentes, ils lui ont même attribué ce début : « Une bonne parole s’est échappée de mon cœur », comme un hymne qu’il chanterait au Seigneur. (Quiconque en effet chante un hymne, laisse échapper de son cœur une bonne parole ; de même que le blasphème contre Dieu est une parole mauvaise échappée du cœur). En sorte que ces paroles qui viennent après : « Je dis mes œuvres au roi », signifieraient que l’œuvre suprême de l’homme est de louer Dieu. C’est à Dieu à te plaire par sa beauté, à toi de le louer par tes actions de grâces. Dès que tes œuvres ne tendent point à louer Dieu, tu commences à l’aimer toi-même ; et tu es du nombre de ceux dont l’Apôtre a dit : « Les hommes s’aimeront eux-mêmes »[2]. Commence par te déplaire à toi-même, afin de te complaire en celui qui t’a fait. Que ton œuvre soit la louange de Dieu, qu’une bonne parole s’échappe de ton cœur. « Dis donc tes œuvres au roi », puisque tu lui dois de pouvoir le faire, et qu’il t’a donné de quoi lui offrir. Rends-lui ses propres dons ; et cette part de ton héritage que tu as reçue, ne va pas, comme le prodigue, la dissiper en vivant dans la débauche, et paître ensuite les pourceaux. Souviens-toi de ce passage de l’Évangile, car c’est de nous aussi qu’il est dit : « Il était mort et il est ressuscité, il était ce perdu et il est retrouvé2 »[3]
10. « Ma langue est comme la plume d’un écrivain très habile ». Plusieurs ont cru que le Prophète avait récité d’abord ce qu’il devait écrire, et qu’alors il comparait sa langue

  1. Ps. 119,2-5
  2. 2 Tim. 3,2
  3. Lc. 15,32