Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/559

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d’une manière cachée ? Il dit ailleurs : « Voici le Prince de ce monde », celui dont l’œil perçant voit les péchés de tous : « Voici le prince de ce monde », ce préposé de la mort qui en frappe tous les pécheurs : « Car la mort n’est entrée dans l’univers entier que par la jalousie du démon[1] » ; « voici donc le m prince de ce monde » (disait Jésus-Christ la veille de sa passion), « et il ne trouvera rien en moi », rien de coupable, rien qui soit digne de mort, rien qui mérite condamnation. Et comme si on lui demandait : Pourquoi donc mourez-vous ? il continue en disant : « Mais afin que le monde connaisse que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici[2] ». Je souffre, dit-il, sans le mériter, pour ceux qui le méritent, afin de faire vivre en moi ceux pour qui j’endure si injustement la mort. C’est donc à ce juste sans péché que s’adresse David, quand il dit : « J’ai péché à l’encontre de vous seul, j’ai fait le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos paroles, et vainqueur quand on vous jugera ». Vous êtes bien supérieur à tous les hommes, à tous les juges, et quiconque se croit juste, n’est qu’injuste auprès de vous ; vous seul jugez dans la justice, et l’on vous a jugé injustement, vous qui aviez le pouvoir de donner votre vie, comme le pouvoir de la reprendre[3]. Vous triomphez donc alors qu’on vous-met en jugement. Vous surpassez tous les hommes, parce que vous êtes plus que tous les hommes, et que c’est par vous que les hommes ont été faits.
10. « J’ai péché contre vous seul, j’ai fait le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos paroles, et triompherez quand vous serez mis en jugement. Voilà en effet que j’ai été conçu dans l’iniquité[4] ». Comme si l’on disait : Ceux-là sont vaincus qui ont agi comme vous, ô David ; car ce n’est pas un crime léger, une peccadille, qu’un adultère et un homicide : en est-il de même de ceux qui n’ont commis aucune faute depuis qu’ils sont sortis des entrailles de leur mère ? Imputeriez-vous à ceux-là quelques péchés, en sorte qu’il n’y ait pour triompher au jugement que celui dont vous venez de parler ? David parle ici au nom du genre humain, il a vu les chaînes de tous, il a considéré en nous la mort qui se propage il a vu l’iniquité à notre origine, et il s’écrie : « Voilà que je suis conçu dans l’iniquité ». David était-il donc né de l’adultère, lui fils de Jessé, homme juste, et de son Épouse[5] ? Pourquoi dit-il qu’il est conçu dans l’iniquité, sinon parce que l’iniquité nous vient d’Adam ? Et l’assujettissement à la mort s’est formé de l’iniquité même. Nul ne vient au monde qu’il n’entraîne avec lui sa peine, et le mérite de sa peine. Le Prophète a dit ailleurs : « Nul n’est pur en votre présence, pas même l’enfant qui est sur la terre depuis un jour[6][7] ». Car nous savons que le baptême du Christ a la force d’effacer les péchés, et qu’il est institué pour la rémission des fautes. Si les enfants naissent avec une parfaite innocence, pourquoi les mères, les voyant malades, viennent-elles en hâte les apporter à l’Église ? Qu’efface donc ce baptême, cette rémission ? Je vois cet innocent qui pleure au lieu de s’irriter. Qu’efface en lui le baptême ? Que délie la grâce ? Elle le délivre du péché transmis. Si cet enfant pouvait parler, il dirait ; et s’il avait l’intelligence comme David, il répondrait : Pourquoi ne voir en moi que l’enfant ? Tu ne vois pas mes fautes à la vérité ; « mais je suis conçu dans l’iniquité, et dans ses entrailles ma mère m’a nourri du péché ». Car ce lien de la concupiscence ne se trouvait pas dans le Christ né de la Vierge, qui l’avait conçu de l’Esprit-Saint. On ne peut dire de celui-là qu’il est conçu dans l’iniquité, il ne peut répéter : « Dans ses entrailles, elle m’a nourri du péché, cette mère », à qui l’ange avait dit : « L’Esprit-Saint viendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre[8] ». Si donc les hommes sont conçus dans l’iniquité, s’ils sont nourris du péché dans les entrailles maternelles, ce n’est point que l’union des Époux soit un péché ; mais parce qu’alors, ce qui a lieu, vient d’une chair condamnée, et la condamnation de la chair c’est la mort, et toute chair a son principe mortel. Aussi l’Apôtre ne dit-il point que notre corps doit mourir, mais qu’il est mort : « A la vérité le corps est mort à cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justice[9] ». Comment pourrait naître sans les liens du péché ce qui est conçu, ce qui germe dans un corps que le péché a

  1. Sag. 2,21
  2. Jn. 14,30-31
  3. Id. 10,18
  4. Ps. 50,7
  5. 1 Sa. 16,18
  6. Job. 14,5
  7. selon les LXX
  8. Lc. 1,35
  9. Rom. 8,10