Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/558

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ses paroles, il dit que ce riche était digne de mort, et rendrait quatre brebis ; sentence sévère, mais juste ! Alors son péché n’était pas encore sous ses yeux, son action criminelle était derrière lui ; il ne connaissait point encore sa propre faute, et il était sans pitié pour celle d’un autre. Mais le Prophète, envoyé à dessein, remit sous les yeux du roi cette faute laissée en arrière, afin de lui faire comprendre qu’il s’était lui-même condamné par sa propre sentence. Il s’était servi de sa langue comme d’un fer salutaire, pour ouvrir la plaie et la guérir. Ainsi en usa le Sauveur avec les Juifs, qui lui amenaient une femme adultère, pour lui tendre un piège, et qui y tombèrent eux-mêmes. « Cette femme », lui disaient-ils, « vient d’être surprise en adultère : « or, Moïse nous a commandé de lapider ces « coupables ; pour vous, qu’en pensez-vous[1] ? » il y avait là un double piège tendu à la sagesse du Seigneur : s’il la condamnait à mort, il perdait sa réputation de douceur ; s’il la faisait renvoyer libre, il encourait leur calomnie et passait pour un violateur de la loi. Que répond le Sauveur ? Il ne leur dit point : Qu’on la fasse mourir ; il ne dit point : Qu’on la mette en liberté ; mais : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». La loi était juste en décrétant la mort contre l’adultère ; mais donnez à cette loi juste des exécuteurs innocents. Vous considérez celle que vous amenez, voyez aussi ce que vous êtes. « A ces mots, ils s’en allèrent l’un après l’autre ». Il ne resta que la femme adultère avec le Seigneur ; que la malade avec le médecin ; que la profonde misère avec la profonde miséricorde. Ceux qui l’amenaient rougirent sans demander leur pardon ; celle que l’on amenait fut dans la confusion et fut guérie. « Le Seigneur lui dit : O femme, aucun ne vous a-t-il condamnée ? et celle-ci : Aucun, Seigneur. Et le Seigneur : Et moi non plus, je ne vous condamnerai point, allez et ne péchez plus à l’avenir ». Le Christ a-t-il donc agi contre sa loi ? Car son Père n’avait pas donné cette loi sans lui. Si le ciel, la terre et tout ce qui est en eux, ont été faits par lui, la loi aurait-elle été écrite sans le Verbe de Dieu ? Donc le Seigneur n’agit point alors contre sa loi, non plus qu’un potentat n’agit contre les lois, quand il fait grâce à des coupables qui avouent leurs crimes. Moïse était le ministre de la loi, le Christ en était le promulgateur ; Moïse fait lapider comme juge, le Christ fait grâce en roi. Le Seigneur eut pitié de cette femme selon l’étendue de sa miséricorde, comme le demande le Prophète, comme il en supplie le Seigneur par ses cris et ses gémissements. Voilà ce que n’ont point fait ceux qui lui présentaient la femme adultère ; et quand le médecin étalait leurs plaies sous leurs yeux, ils n’ont point demandé au médecin la guérison. Ainsi en est-il beaucoup qui ne rougissent point du péché, et qui rougissent de la pénitence. Incroyable folie : tu ne rougis point de la plaie, et tu rougis des bandes qui la couvrent ? N’est-elle pas plus hideuse et plus fétide, quand elle est à nu ? Va donc trouver le médecin, fais pénitence et dis-lui : « Je connais mon iniquité, et mon péché est toujours sous mes yeux ».
9. « J’ai péché contre vous, contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence[2] », Que veut dire cette parole ? Est-ce que l’adultère de cette femme et le meurtre du mari ne furent connus d’aucun homme[3] ? Tous ne savaient-ils point le crime de David ? Que signifie : « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence ? » C’est que Dieu seul est sans péché. Celui-là seul punit avec justice, qui n’a rien en soi que l’on doive punir : il peut reprendre justement, celui en qui l’on ne peut rien reprendre. « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence ; en sorte que vos paroles seront justifiées et que vous vaincrez quand vous serez jugé ». À qui s’adressent ces dernières paroles, mes frères ? il est difficile de le voir. Assurément le Prophète s’adresse à Dieu, et il est évident que Dieu le Père n’a pas été jugé. Qu’est-ce à dire : « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos discours, et que vous vaincrez quand vous serez jugé ? » Le Prophète voit dans l’avenir le juge suprême qui sera jugé, le juste que jugeront les pécheurs, et qui sera vainqueur, parce qu’il n’y aura en lui rien de condamnable. Seul de tous les hommes, l’Homme-Dieu a pu dire avec vérité : « Si vous trouvez en moi un péché, dites-le ». Mais il y avait peut-être en lui quelque faute qui échappait aux hommes, et alors ils ne pouvaient trouver en lui ce qui existait réellement, bien que

  1. Jn. 8,4-11
  2. Ps. 50,6
  3. 2 Sa. 11,4-15