Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/632

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Non. L’auréole de la gloire couronne les martyrs dans le sein de Dieu : pour les païens, le piège où ils sont tombés, c’est l’abîme de leur conscience : car voilà bien le précipice où se jettent les impies, une conscience pervertie et troublée. N’est-ce point tomber dans un précipice, que de n’avoir plus pour guide le flambeau de la foi chrétienne, et d’être ainsi frappé d’aveuglement ? Oserais-tu le croire ? Si l’on n’était tombé dans le piège, on verrait devant soi. On ne sait pas plus où l’on va que le voyageur qui s’est jeté dans un trou, et qui a perdu son chemin. Ainsi en est-il de tous les méchants : en s’engageant dans la voie du crime, ils se sont écartés du droit chemin.
Mais ton ennemi est peut-être déjà parvenu à te livrer aux mains des voleurs, de gens injustes, ou de juges circonvenus par lui : pendant que ton âme est noyée dans l’affliction, il est dans la joie, il s’abandonne aux transports de l’allégresse. Prends-y garde, je te l’ai déjà dit : ne considère pas les choses avec les idées d’un païen : vois-les d’un œil chrétien. Ton adversaire se livre à la joie cette joie même est la fosse où il tombe. La tristesse d’un homme qui souffre injustement, est de beaucoup préférable à la joie d’un méchant qui fait le mal. La joie à laquelle le méchant s’abandonne, est vraiment le précipice où il se jette : une fois qu’il y est tombé, il ne voit plus rien ; il est devenu aveugle. Tu te lamentes, pour avoir perdu tin vêtement : ton frère a perdu la foi, et tu ne verses aucune larme sur lui ? En est-il un seul parmi vous qui ait fait une perte semblable ? Ton ennemi t’assassine, tu tombes sous ses coups : vit-il ? Es-tu mort ? Non. Chrétiens, qu’avez-vous fait de votre foi ? Que devient celui qui meurt corporellement ? Écoutez le Seigneur ; il vous dit : « Celui qui croit en moi vivra, lors même qu’il mourrait »[1]. Par une conséquence naturelle, celui qui ne croit pas est mort, lors même qu’il est vivant. « Ils ont creusé une fosse devant moi, et ils y sont eux-mêmes tombés ». Il faut nécessairement qu’il en soit ainsi à l’égard de tous les méchants.
15. Par leur patience les bons ont le cœur toujours prêt à faire la volonté de Dieu ; ils mettent leur gloire à souffrir, et ils disent : « Mon cœur est prêt, Seigneur[2] ; mon cœur est prêt : je chanterai et je psalmodierai vos louanges ». Comment mon ennemi s’est-il conduit à mon égard ? Il m’a tendu un piège : mais mon cœur est prêt. Il a préparé une fosse devant moi, pour m’y faire tomber, et je ne préparerais pas mon cœur à souffrir ses ruses méchantes ? Il a préparé une fosse devant mes pieds, afin de m’opprimer, et je ne préparerais pas mon cœur à le supporter ? Puisqu’il a creusé cette fosse, il y tombera pour moi, je chanterai et je psalmodierai. Écoute l’Apôtre : son cœur était prêt, car il imitait parfaitement le Seigneur son Dieu. « Nous nous glorifions », dit-il, « dans l’affliction, car l’affliction produit la patience, la patience produit la pureté, la pureté produit l’espérance, et l’espérance ne confond point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné[3] ». Il souffrait, il était chargé de chaînes, jeté en prison, accablé de coups, éprouvé par la faim, la soif, le froid et la nudité, surchargé enfin de travaux et de douleurs[4] et, pourtant, il disait : « Nous nous glorifions dans nos afflictions ». Comment pouvait-il parler de la sorte, sinon parce que son cœur était prêt ? C’est pourquoi il chantait et psalmodiait. « Mon cœur est prêt, Seigneur ; mon cœur est prêt ; je chanterai et je psalmodierai vos louanges ».
16. « Réveillez-vous, ma gloire[5] ». Ainsi s’exprime celui qui s’était réfugié dans une caverne, loin de la présence de Saül. « Réveillez-vous, ma gloire ». Que Jésus soit glorifié après sa passion. « Réveillez-vous, ma harpe et mon luth ». Qui est-ce qu’il invite à se réveiller ? Je vois bien ici deux instruments de musique, mais je ne vois dans le Christ qu’un seul corps : une seule chair est ressuscitée, tandis que nous voyons se lever la harpe et le luth. Autre est la harpe, autre est le luth. On nomme instruments de musique tous les objets qui contribuent à cet art ; qu’ils soient de grande dimension et se gonflent à l’aide du vent, peu importe ; pourvu qu’ils servent à moduler des airs et qu’on puisse les saisir, on les appelle ainsi, quelle que soit d’ailleurs leur forme. Tous ces instruments sont différents les uns des autres : je voudrais, autant que Dieu me le permettra, vous faire comprendre en quoi consiste cette différence, vous en expliquer la raison et vous montrer pourquoi le Prophète dit à tous : « Levez-

  1. Jn. 11,25
  2. Ps. 56,8
  3. Rom. 5,3-5
  4. 2 Cor. 11,27
  5. Ps. 56,9