Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/110

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qui relève en lui cette vertu, et sa douceur fut portée au point qu’il rendit le bien pour le mal à Saül qui le persécutait[1]. Il pratiqua envers lui l’humilité, jusqu’à l’appeler roi, et se dire lui-même un chien. Et quoique devant Dieu il fût plus grand que ce roi, il n’eut pour lui ni fierté, ni hauteur ; mais il cherchait plutôt à l’apaiser par son humilité, qu’à l’irriter par son orgueil. Il eut même Saül en sa disposition, et Dieu le lui livra, afin qu’il en fît ce qu’il voulait. Mais parce qu’il n’avait point reçu l’ordre de le faire mourir, que Saül était seulement en son pouvoir, et un homme cependant peut user de sa puissance, il aima mieux user en douceur du pouvoir que Dieu lui avait donné. En lui donnant la mort, il se serait délivré d’un violent ennemi, mais eût-il pu dire : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent[2] ? » Saül entra dans une caverne où était David, sans savoir que David y fût[3] ; il y venait pour se reposer. Or, David se leva doucement derrière lui et sans être aperçu, puis il coupa un morceau de son vêtement, afin de le lui montrer ensuite, et de lui faire comprendre que, l’ayant eut entre les mains, c’était volontairement et non par nécessité qu’il l’avait épargné et ne lui avait point donné la mort. C’est peut-être cet acte de douceur qu’il fait valoir maintenant quand il dit : « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa mansuétude ». Ce que je vous en dis, mes frères, c’est ce qui est consigné dans les saintes Écritures. Toutefois, dans les psaumes comme dans toute prophétie, il est de coutume de ne point s’arrêter à la lettre, mais de chercher les figures, au moyen du sens littéral. Et votre charité sait bien que dans tous les psaumes, c’est un homme que nous entendons parler, et que cet homme unique a une tête et un corps la tête est dans les cieux, le corps est sur la terre ; mais où est la tête, le corps doit aller à son tour. Je n’indique point ici quelle est la tête, ou quel est le corps, je parle à des chrétiens instruits.
3. C’est donc l’humilité de David, la douceur de David que notre psaume chante ici en disant à Dieu : « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa mansuétude ». Dans quelle fin, « Seigneur, vous souviendrez-vous de David ? Souvenez-vous qu’il jura devant le Seigneur, qu’il fit un vœu, au Dieu de Jacob ». Souvenez-vous-en, Seigneur, afin qu’il accomplisse la promesse qu’il à faite. David fait une promesse qu’il peut accomplir, et néanmoins il supplie le Seigneur d’accomplir le vœu qu’il a fait. Il y a de la ferveur dans son vœu, mais de l’humilité dans sa prière. Que nul ne compte sur ses forces pour accomplir ce qu’il a promis. Dieu qui l’engage à faire des vœux, l’aide aussi à les accomplir. Voyons donc ce qu’il a promis par son vœu, et nous comprendrons comment nous devons voir en David une figure. Le nom de David signifie, qui est fort de la main. Or, David était un grand guerrier. Plein de confiance dans le Seigneur son Dieu, il termina heureusement toutes ses guerres, et détruisit tous ses ennemis. Dieu le protégea selon qu’il était nécessaire pour le bien de ses États ; et nous montrait, sous la figure de ce roi, celui dont la main forte devait terrasser dans ses ennemis, le diable et ses anges. Car tels sont les ennemis que renverse l’Église. Et par quel moyen ? Par sa douceur ; et ce fut par sa douceur que notre roi put vaincre le diable. Celui-ci s’emportait, celui-là supportait. Celui qui s’emportait fut vaincu, celui qui supportait fut vainqueur. C’est par la même douceur que l’Église, qui est le corps du Christ, triomphe de ses ennemis. Que sa main soit forte, qu’elle triomphe en agissant. Mais comme elle est le corps du Christ, elle est aussi un temple, une maison, une cité et celui qui est la tête de ce corps, habite aussi cette maison, sanctifie ce temple, règne dans la cité. Voilà tout ce qu’est l’Église, et ce qu’est aussi le Christ. Quel vœu donc avons-nous fait à Dieu, sinon d’être son temple ? Nous ne pouvons rien lui offrir de plus agréable, que de dire avec le prophète Isaïe[4] : « Possédez-nous ». En fait de biens terrestres, c’est faire une faveur à un père de famille que lui donner quelques terres à posséder : il n’en est pas de même dans l’Église : c’est à l’héritage même qu’il est avantageux d’être possédé par Dieu.
4. Que signifie donc cette parole : « Il a juré devant le Seigneur, il a fait un vœu au Dieu de Jacob ? » Voyons quel est ce vœu. Jurer, c’est donner plus de force à une promesse. Considérez le vœu de David, avec quelle ardeur, quel transport d’amour, quel

  1. 1 Sa. 14,4 ss
  2. Mt. 6,12
  3. 1 Sa. 24,4
  4. Isa. 26,13