Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/169

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« Seigneur », s’adressant au Père. Son Père toutefois n’est son Seigneur que parce qu’il a daigné naître selon la chair ; Père de Dieu, Seigneur de l’homme. Veux-tu savoir de qui il est Père ? D’un Fils égal à lui. « Étant de la nature de Dieu », a dit saint Paul, « il n’a pas cru qu’il y eût usurpation pour lui de s’égaler à Dieu ». C’est de cette nature que Dieu est Père, de celui qui lui est égal en nature, qui est son Fils unique, né de sa substance. Mais par bonté pour nous, afin de nous rétablir, de nous faire participants de sa divinité, de nous remettre sur le chemin de la vie éternelle, en prenant part à notre nature, avons-nous dit, qu’a-t-il fait selon l’Apôtre, et qu’est-ce qu’il ajoute à ces paroles : « Lui qui avait la nature de Dieu, n’a pas cru qu’il y eût usurpation à se dire égal à Dieu ? Mais il s’est anéanti », dit le même Apôtre, « en revêtant la forme de l’esclave, en se rendant semblable à l’homme, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui[1] ». Égal au Père dans sa nature divine, il a pris la forme de l’esclave, devenant ainsi moindre que son Père. Lui-même nous dit l’un et l’autre dans l’Évangile. Ici : « Mon Père et moi sommes un[2] » ; là : « Mon Père est plus grand que moi[3] ». « Mon Père et moi sommes un » ; selon la nature divine ; « Mon Père est plus grand que moi », selon la forme de l’esclave. Dès lors que le Père est en même temps Seigneur, Père selon la nature divine, et Seigneur selon la forme de l’esclave, que son Fils unique s’écrie, sans aucun étonnement ni scandale de notre part : « Seigneur, vous m’avez éprouvé et m’avez connu ». « Éprouvé et connu », est-il dit, non point que Dieu ne l’ait point connu d’abord, mais en ce sens qu’il l’a fait connaître aux autres. « Vous m’avez éprouvé et m’avez connu ».
4. « Vous m’avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé[4] ». Que veut dire ici s’asseoir ? que veut dire se lever ? S’asseoir, c’est s’abaisser. Le Seigneur s’est donc abaissé dans sa passion, il s’est levé dans sa résurrection. « Vous avez connu cela », est-il dit, c’est-à-dire, vous l’avez voulu, vous avez approuvé, cela s’est fait selon votre volonté. Si nous voulons entendre la voix de notre chef, dans la personne des membres, disons à notre tour : « Vous m’avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé ». L’homme s’assied, quand il s’humilie par la pénitence ; il se lève quand, après la rémission des péchés, il se redresse par l’espérance de la vie éternelle. Aussi est-il dit dans un autre psaume : « Levez-vous après vous être assis, vous qui mangez un pain de douleur[5] ». Les pénitents mangent un pain de douleur, eux qui disent dans un autre psaume encore : « Mes larmes sont devenues pour moi un pain, le jour et la nuit[6] ». Qu’est-ce à dire : « Levez-vous après vous être assis ? » Ne vous élevez qu’après vous être humiliés. Beaucoup en effet veulent se lever avant de s’être assis, et paraître justes avant de s’être avoués pécheurs. Si donc nous appliquons ces paroles à notre chef : « Vous e m’avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé », elles doivent s’entendre de sa passion et de sa résurrection ; si nous entendons ces paroles des membres : « Vous m’avez connu quand je me suis assis et quand je me suis levé », signifiera, j’ai confessé devant vous mes péchés, et j’ai été justifié par votre grâce.
5. « Vous avez compris de loin mes pensées ; vous avez recherché ma route et mon gîte, et prévu toutes mes voies[7]. Que veut dire de loin? Quand je suis encore dans mon exil, avant que je sois arrivé à cette patrie bienheureuse, vous avez connu mes pensées. Vois ce plus jeune fils dans l’Évangile : c’est lui qui est devenu le corps de Jésus-Christ, puisque l’Église est venue de la gentilité. C’est ce plus jeune fils qui s’en était allé au loin. Le père de famille avait en effet deux fils ; l’aîné ne s’était pas éloigné, mais il travaillait dans les champs : il est la figure de ces saints personnages de la loi qui accomplissaient les préceptes et les œuvres de la loi. Quant au reste des hommes, ils s’en étaient allés bien loin, se plongeant dans l’idolâtrie. Quoi de plus éloigné de celui qui t’a fait, que l’image que tu viens de faire ? Le plus jeune des fils s’en alla donc, emportant son bien, comme nous l’apprend l’Évangile, et le dissipant en profusions avec des femmes débauchées : pressé par la faim, il s’attache à un prince de ces contrées ; et celui-ci l’envoya paître les pourceaux auxquels il enviait leur nourriture, sans pouvoir s’en rassasier.

  1. Phil. 2,6-7
  2. Jn. 10,30
  3. Id. 14,28
  4. Ps. 138,2
  5. Ps. 126,2
  6. Id. 41,4
  7. Id. 138,3-4