Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/176

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quelques consolations, en me donnant des biens temporels ; voilà qu’il éteint cette lumière temporelle, et la nuit devient pour moi ténébreuse. Mais « parce que ses ténèbres sont pour moi comme sa lumière le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni ». Cette nuit ne m’attriste point ; car ses ténèbres sont pour moi comme sa lumière. L’une et l’autre passent, afin que ceux qui sont dans la joie soient comme n’y étant pas, et ceux qui pleurent comme ne pleurant point. « Car les ténèbres du Seigneur sont pour nous comme sa lumière ».
18. « Parce que c’est vous, Seigneur, qui êtes le maître de mes reins ». Ce n’est point sans raison que ses ténèbres sont comme sa lumière ». Le Seigneur me possède intérieurement, il est le maître non seulement de mon cœur, mais aussi de mes reins ; non seulement de mes pensées, mais aussi de mes affections. C’est donc lui qui possède ce qui pourrait me donner quelque jouissance dans la lumière de cette nuit, lui qui possède mes reins, et je ne puis trouver de plaisir que dans la lumière intérieure de sa sagesse. Quoi donc ? La prospérité d’ici-bas, le bonheur de cette vie, les honneurs, les richesses, la famille, n’ont-ils donc pour toi aucun charme ? Aucun, et pourquoi ? Parce que « ses ténèbres et sa lumière sont une même chose pour moi ». D’où te vient cette indifférence, que les lumières et les ténèbres de cette vie soient une même chose pour toi ? « C’est que vous êtes, Seigneur, le maître de mes reins ; vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ». Mais dans le sein de ma mère je n’étais indifférent ni aux ténèbres de cette nuit, ni à ses lumières ; car ce sein de ma mère, c’est la coutume de ma cité. Et quelle est ma cité ? celle qui m’a enfanté dans l’esclavage. Or, nous connaissons cette Babylone dont nous avons parlé hier, et qu’abandonnent tous ceux qui embrassent la foi, qui soupirent après la lumière de la Jérusalem céleste. Voici donc mon langage : dès le sein de ma mère, le Seigneur m’a reçu ; de là mon indifférence pour les ténèbres de cette nuit comme pour sa lumière. Mais quiconque est encore dans les entrailles de Babylone sa mère, se réjouit des prospérités de ce monde, se laisse abattre par les misères de cette vie, ne connaît de joie que celle d’un bonheur temporel, ni de douleur que celle des maux temporels. Sors donc des entrailles de Babylone, commence à chanter un hymne au Seigneur ; sors, oui sors de ses entrailles, elle Seigneur te recevra dès le sein de ta mère, Quel Dieu ? le Dieu de l’apôtre saint Paul qui a dit : « Quand il a plu à Dieu qui m’a appelé dès le sein de ma mère, de me faire « connaître son Fils[1] ». Quelle était cette mère de Paul ? la synagogue. Qu’avait-il appris dans la synagogue, sinon ce que savaient, ce qu’apprenaient les Juifs et tout le peuple ? Il ne restait plus chez cette nation que le nom du culte de Dieu, on n’y voyait plus les œuvres : ils avaient la parole de Dieu comme un arbre porte des feuilles, mais sans aucun fruit. C’est ce figuier que le Seigneur fit si cher en le maudissant, comme vous le savez[2]. Il y avait trouvé des feuilles, mais de fruit, aucun ; il nous montrait là le symbole d’un autre arbre. On n’était pas, en effet, au moment des figues[3] ; or, le Créateur du ciel et de la terre pouvait-il ignorer ce que chacun savait ? Celui-là donc qui appela Paul dès le sein de sa mère est aussi celui qui nous a choisis dès le sein de la nôtre. Quelle est notre mère ? Babylone. Une fois sortis de ses entrailles, concevons une autre espérance, Dieu, mes frères, nous a promis d’autres joies ; qu’une nouvelle espérance nous fasse porter des fruits. Il n’y a désormais d’autre mal pour nous que d’offenser Dieu et de n’arriver pas aux biens qu’il nous a promis ; il n’y a d’autre bien que de mériter Dieu et d’arriver à ses divines promesses. Que sont les biens de cette vie, comme les maux de cette vie ? N’ayons pour eux que de l’indifférence ; puisque nous voyant reçus par Dieu dès le sein de notre mère, nous disons : « Les ténèbres de « cette vie sont pour nous comme ses lumières ». Le bonheur de ce monde ne sera point notre bonheur, ni ses misères notre malheur, Il nous faut pratiquer la justice, aimer la foi, espérer en Dieu, aimer Dieu, aimer aussi notre prochain. Aux travaux de cette vie succédera une lumière inextinguible, un jour sans fin tout ce qui est lucide ou ténébreux en cette vie, ne dure qu’un moment « Vous êtes, Seigneur, le maître de mes reins, vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ».
19. « Je vous confesserai, Seigneur, à cause

  1. Gal. 1,15-16
  2. Mt. 21,19
  3. Mc. 11,13