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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/185

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qui est aussi injuste. Il est appelé méchant, par cela même qu’il est injuste : et ne croyons pas qu’un homme injuste puisse être bon. Il est beaucoup d’hommes injustes qui ne paraissent nuire à personne, qui n’ont ni cruauté, ni aigreur, qui ne persécutent, qui n’affligent personne : et néanmoins ils sont injustes, d’une autre manière, parce qu’ils sont adonnés à la luxure, à l’intempérance, à la débauche. Comment serait innocent cet homme qui se nuit à lui-même ? Car être innocent, c’est ne pas nuire ; on ne l’est plus dès qu’on se nuit. Et comment un homme qui se nuit peut-il ne pas te nuire ? Mais, diras-tu, en quoi me nuit-il ? Il n’en veut pas à mon bien, il n’attente pas à ma vie ; il se repaît de ses débauches, met sa joie dans ses voluptés ; mais s’il a de honteux plaisirs, ils ne flétrissent que lui-même ; que m’importe, dès lors qu’il ne m’offense point ? Il t’offense du moins par son exemple, car il vit près de toi et t’invite à faire ce qu’il fait. Quand tu le vois prospérer malgré ses dérèglements, n’es-tu point porté à aimer ses actes ? Si tu ne cèdes point à ses désirs, il te donne au moins occasion de résister. Comment donc cet homme ne te nuisait-il en rien, puisque tu ne surmontes qu’avec peine l’impression qu’il a faite en ton cœur ? Tout homme injuste est donc un méchant, il faut qu’il nuise, ou par ses flatteries, ou par ses violences. Quiconque le rencontrera, quiconque tombera dans ses pièges, éprouvera combien est dangereux ce qu’il croyait innocent. Les épines, mes frères, ne blessent point dans leur racine ; arrache-les de terre, touche cette racine, et vois si tu ressens aucune douleur ; et néanmoins ce qui te meurtrit à la surface, vient de cette racine. Ne vous laissez donc point surprendre par ces hommes flatteurs et inoffensifs en apparence, mais adonnés aux plaisirs de la chair, esclaves de leurs honteuses convoitises ; ne vous laissez point surprendre. Quelle que soit leur douceur en apparence, ils sont des épines par la racine. Souvent ils consomment dans la débauche tout ce qu’ils possèdent, et quelle fureur ensuite à recouvrer ce qu’ils ont dissipé ! Vont-ils reculer devant la rapine, devant les projets de fraudes, les machinations de friponnerie ? Tu vois déjà la méchanceté de cet homme, que tu croyais inoffensif. Tu voyais en lui un ivrogne, et il te paraissait homme de bien ; tu le vois voleur, tu crains d’être volé ; les épines sont sorties de la racine. Lorsque les racines te paraissaient douces, tu devais les brûler, si tu le pouvais, il n’en serait point sorti de quoi te meurtrir aujourd’hui. Vous donc, mes frères, qui êtes le corps du Christ et ses membres, qui gémissez au milieu des méchants, quand vous rencontrerez de ces hommes qui se laissent entraîner à des passions criminelles, à de pernicieuses voluptés, n’épargnez ni le blâme, ni le châtiment, ni le feu. Brûlez la racine, afin qu’il n’en sorte aucun aiguillon. Si vous ne le pouvez, soyez assurés qu’ils seront un jour vos ennemis. Ils peuvent garder le silence, ils peuvent dissimuler leurs iniquités, ils ne sauraient vous aimer. Et dès lors qu’ils ne sauraient vous aimer que par haine pour vous, ils doivent chercher à vous nuire ; votre langue et votre cœur doivent dire à Dieu : « Délivrez-moi, Seigneur, de l’homme du mal, délivrez-moi de l’homme injuste ».
5. « Ils ont médité le crime dans leur cœur[1] ». Que vous importe que leur langue n’ose point dire au-dehors, si la haine est dans leur cœur ? Le Prophète nous tient ce langage à cause de ceux qui n’ont sur les lèvres que des paroles de douceur. Ils ont la parole du juste, mais non le cœur du juste. Pourquoi, en effet, le Prophète ajouterait-il « Dans leur cœur ils ont médité le crime ? » Délivrez-moi de ces hommes, signalez votre puissance en m’arrachant à leurs mains. Il est aisé de se défendre contre des inimitiés déclarées, il est aisé de se soustraire à un ennemi évident et manifeste, qui montre son iniquité sur ses lèvres ; mais celui-ci est dangereux, parce qu’il est caché ; il est difficile à éviter, parce que la douceur est sur ses lèvres et le mal dans son cœur. « Dans leur cœur ils ont médité le crime : tout le jour ils « projetaient des guerres contre moi ». Qu’est-ce à dire, « des guerres ? » Ils m’opposaient chaque jour des choses que je devais combattre. Car c’est du cœur de ces hommes que sort tout ce que doit combattre un chrétien. Sédition, schisme, hérésie, trouble, contradiction, tout cela ne sort que des pensées que l’on tenait secrètes, alors que le bien était sur les lèvres. « Tout le jour ils m’opposaient des guerres ». Tu entends des paroles de paix, mais le dessein belliqueux n’abandonne point

  1. Ps. 139,3