Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/187

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est tombé. Comme donc il est orgueilleux, et dès lors comme il est envieux à cause de son orgueil, tous les membres dont il est la tête sont orgueilleux et jaloux. Armons-nous de la prière contre lui qui ne saurait se convertir, mais en faveur de ceux qui le peuvent encore, et disons à l’homme injuste : Pourquoi, dans ton injustice, porter envie à l’homme juste ? Afin de te donner à toi-même l’apparence de la justice ? Prends la voie la plus courte, fais le bien, et tu paraîtras facilement ce que tu seras en effet. Sois juste, et tu aimeras celui dont tu étais jaloux ; tu seras toi-même ce qu’il t’est pénible de voir en lui, tu t’aimeras en lui, et lui en toi. Ni ton envie contre le riche ne te donnera le pouvoir d’être riche, ni ton envie contre un homme illustre, un noble sénateur, ne te donnera l’illustration et la dignité, ni ton envie contre un homme doué de beauté, ne t’embellira toi-même, ni ton envie contre un homme courageux ne te donnera du courage ; mais si tu portes envie au juste, il ne tient qu’à toi, sois ce qu’il t’est pénible de voir dans un autre. Ce que tu n’es point, et ce qu’est un autre, ne s’achète point, cela se donne gratuitement et promptement : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[1] ».
9. Ces hommes superbes m’ont donc caché un piège ; ils ont cherché à supplanter mes démarches, et qu’ont-ils fait ? « Ils ont tendu devant mes pieds des filets de cordes ». Quelles cordes ? C’est là une expression des saintes Écritures, et nous en trouvons le sens quelque part. Ce fut avec des cordes que Jésus fat un fouet pour chasser du temple ceux qui le profanaient par le trafic[2], nous montrant ainsi ce que signifient les cordes car chacun est lié par les cordes de ses péchés[3] », dit ailleurs l’Écriture. Et Isaïe nous dit clairement : « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue chaîne[4] ». Pourquoi les appeler une chaîne ? Parce que tout pécheur qui persévère dans le péché ajoute au péché des péchés nouveaux : et quand il devrait se corriger par l’aveu, il l’augmente en défendant ses fautes, ce que la confession aurait pu dissiper, et souvent du péché qu’il commet il prétend se faire un rempart contre ceux qu’il a commis. Tel a commis un adultère, et il médite un homicide pour n’être point tué lui-même ; au péché il ajoute le péché. S’il a commis un homicide, au lieu d’un crime, il craint pour deux ; et quand il voit ses craintes se multiplier, au lieu de diminuer ses crimes, il pense au contraire à en ajouter de nouveaux ; il a recours aux maléfices, et c’est son troisième crime. Une fois qu’on arrive à ce point, où est le pécheur qui réfléchit, qui termine la chaîne de ses péchés ? Elle est donc bien une corde ; et, en effet, filer une corde c’est y ajouter des fils, et non des fils droits, mais retors. Ainsi le crime ajouté au crime, est une corde qui se prolonge, et le pécheur ne songe point à rompre son malheureux tissu, il n’est occupé qu’à l’augmenter, à l’étendre, à l’allonger ; en sorte qu’à la fin le voilà pieds et mains liés, et jeté dans les ténèbres extérieures[5]. Tels sont donc les péchés qu’ils tendent comme des filets aux justes, quand ils les veulent entraîner au mal qu’ils font eux-mêmes. De là le mot du Prophète : « Ils ont tendu devant mes pieds des filets de cordes » ; c’est-à-dire : ils me veulent faire tomber au moyen de leurs péchés. Mais où sont tendus ces pièges ? « Le long des sentiers ils ont mis des pierres d’achoppement ». Non pas dans les sentiers, mais près des sentiers. Vos sentiers sont les préceptes du Seigneur ; or, ils ont placé des pièges le long de ces sentiers ; pour toi, ne t’en écarte pas, tu ne tomberas point dans ces scandales, Ne viens pas dire : Si Dieu leur défendait de me tendre des pièges le long des sentiers, ils n’en tendraient point. Il a permis au contraire qu’ils missent le long des sentiers ces pierres de scandale, pour t’empêcher de t’écarter du sentier. « Le long des sentiers ils ont placé des pierres de scandale ».
10. Qu’ai-je à faire ? Quel remède au milieu de tant de maux, de tant d’épreuves, de tant de périls ? « J’ai dit au Seigneur. « Vous êtes mon Dieu ». Ceux-là sont des hommes, et n’ont rien de commun avec moi ; mais vous, Seigneur, vous êtes Dieu, et mon Dieu. « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu[6] ». Sainte prière qui donne la confiance. Mais Dieu n’est-il pas aussi leur Dieu ? De qui n’est-il pas Dieu, celui qui est le Dieu véritable ? Il l’est néanmoins plus particulièrement de ceux qui jouissent de lui, qui le servent, qui se font un bonheur de lui être soumis. Il est vrai que les méchants lui sont soumis également, en dépit de leur orgueil. Mais les uns

  1. Lc. 2,14
  2. Jn. 2,15
  3. Prov. 5,22
  4. Isa. 5,18
  5. Mt. 22,13
  6. Ps. 139,7