Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/194

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l’expression sauvegarde la vérité contre tout ennui.
2. Que pouvez-vous, mes frères, apprendre et connaître de plus grand, de plus salutaire que ceci : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même ? » De peur que ces deux préceptes ne vous paraissent peu considérables, « voilà », dit le Sauveur, « qu’ils renferment la loi et les Prophètes[1] ». Tout ce que l’on peut dès lors, ou concevoir d’utile dans l’esprit, ou proférer de la langue, ou tirer de quelque page des livres sacrés, n’a d’autre but que la charité. Or, cette charité n’est point chose commune. On dit aussi des méchants qu’ils sont liés entre eux par l’association d’une conscience criminelle ; on dit qu’ils s’aiment, qu’ils ne peuvent se séparer, qu’ils prennent plaisir à converser ensemble, qu’ils se recherchent en cas d’absence, qu’ils se réjouissent dès qu’ils se retrouvent. C’est l’amour infernal ; il est comme une glu qui ne peut que nous faire tomber, il n’a point d’ailes pour nous élever au ciel. Quelle est donc la charité que l’on distingue et qui se détache de tout ce que l’on appelle amour ? Cette charité véritable est propre aux chrétiens, et saint Paul l’a définie, et bien qu’elle soit divine et dès lors infinie, il la circonscrit dans des limites qui la séparent de tout autre amour. « La fin de la loi », dit-il, « est la charité ». Il pouvait s’en tenir là, comme en d’autres endroits, parlant à des hommes instruits, il disait : « La plénitude de la loi, c’est la charité[2] ». Il ne dit point quelle charité ; il n’en dit rien ici, parce qu’il l’a dit ailleurs. On ne saurait, on ne doit pas dire tout et à toute heure. Il dit donc simplement : « La plénitude de la loi, c’est la charité ». Qu’est-ce que la charité, diras-tu ? Quelles qualités doit-elle avoir ? Écoute un autre passage : « La fin du précepte est la charité émanant d’un cœur pur ». Voyez maintenant si cette charité qui émane d’un cœur pur existe parmi les voleurs. Un cœur pur dans la charité, c’est l’amour de l’homme selon Dieu ; puisque c’est ainsi que tu dois t’aimer toi-même, afin que la règle soit juste : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Si tu n’as pour toi qu’un amour mauvais et inutile, quel avantage reviendra-t-il à ton prochain quand tu aimeras de la sorte ? Or, comment t’aimeras-tu d’un amour mauvais ? L’Écriture nous l’insinue, elle qui ne flatte personne, qui te convaincra que, loin de t’aimer, tu vas même jusqu’à te haïr. « Celui-là hait son âme », dit-elle, « qui aime l’iniquité ». Crois-tu donc qu’aimer l’iniquité, ce soit t’aimer toi-même ? Illusion, mou frère. Aimer ainsi le prochain, c’est le conduire à l’iniquité, et ton amour sera pour lui un piège. Donc « la charité qui est selon Dieu vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience, d’une foi sans déguisement ». La charité ainsi définie par l’Apôtre a deux préceptes : l’un d’aimer Dieu, l’autre d’aimer le prochain. Ne cherchez rien autre chose dans l’Écriture, et que nul ne vous enseigne un autre précepte. Un passage de l’Écriture a-t-il de l’obscurité, la charité y est assurément recommandée : dans un passage clair, on trouve la charité clairement. Si l’Écriture n’était jamais claire, elle ne serait point une pâture ; si elle n’était obscure, elle ne serait point un exercice. Cette charité crie d’un cœur pur, d’un cœur semblable à celui qui parle dans notre psaume ; et pour vous le dire en un mot, c’est le Christ.
3. Vous entendrez néanmoins ici des paroles qui vous paraîtront indignes de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et un homme peu instruit me croira téméraire d’avoir dit que c’est le Christ qui est l’interlocuteur de notre psaume. Comment, en effet, peut-on entendre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de cet Agneau sans tache en qui seul on ne trouve point de péché, qui seul a pu dire en toute vérité : « Voici le prince du monde, mais il ne trouvera rien en moi[3] », c’est-à-dire aucune faute, aucun péché ; lui qui seul a payé ce qu’il n’avait point dérobé[4] ; qui seul a versé un sang innocent, ce Fils unique de Dieu, qui s’est revêtu de notre chair non pour perdre rien de ce qu’il était, mais pour nous enrichir ; comment, dis-je, peut-on entendre de lui ces paroles : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche, et à mes lèvres une barrière qui les environne ; n’inclinez pas mon cœur vers les paroles de malice, pour trouver des excuses dans les péchés[5] ». Paroles dont le sens est évidemment : Seigneur, gardez ma bouche par votre loi sainte, qu’elle en soit comme la porte et la barrière, afin que mon cœur ne se

  1. Mt. 22,37-40
  2. Rom. 13,10
  3. Jn. 14,30
  4. Ps. 68,5
  5. Id. 140,3-4