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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/206

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coupable, parce que le Seigneur l’avait prédit, Judas ne sera point coupable de l’avoir trahi, parce que le Seigneur avait prédit qu’il le ferait. Loin de nous cette doctrine ; c’est la doctrine de ces élus qui excusent leurs péchés plutôt qu’ils ne les confessent. Jetons plutôt les yeux sur saint Pierre lui-même. Pourquoi pleurer, s’il n’est point pécheur ? N’interrogeons chez Pierre que les larmes de Pierre : nous n’avons pas sur lui de témoins plus fidèles. « Il pleura amèrement[1] », dit l’Évangile. Il n’était pas encore prêt à souffrir : « Tu me suivras plus tard[2] », lui fut-il dit. Affermi par la résurrection du Seigneur, il devait être plus constant dans la suite.
25. Le temps n’était donc point venu de disperser ces ossements le long du sépulcre. Voyez, en effet, combien vinrent à faillir, sans excepter ceux qui lui étaient le plus attachés et qui succombèrent à Leur tour. D’où vient cette faiblesse ? « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ». C’est la suite du psaume. Le Prophète avait dit plus haut : « Préservez-moi, Seigneur, des pièges qu’ils m’ont tendus, et des scandales de ceux qui commettent l’iniquité ». « Des pièges et des scandales » ; de ceux qui effraient et de ceux qui tombent. Mais comme dans sa passion ceux-là succombèrent qui étaient les premiers, qui devaient être les guides et les colonnes de l’Église, alors cette parole du psaume n’était pas accomplie en eux : « J’ai affermi ses colonnes[3] ». Que dit-il ici : « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ? » C’est le chef qui tient ce langage. « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ». Qu’est-ce à dire seul? C’est vous seul, Seigneur, qui souffrez dans votre passion, vous seul que vos ennemis font mourir. « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé. » Qu’est-ce à dire, « jusqu’à ce que j’aie passé ? » L’Évangile nous dit : « Quand vint pour Jésus-Christ l’heure de passer de ce monde à son Père[4] ». Qu’est-ce à dire, « jusqu’à ce que j’aie passé, sinon de ce monde à son Père ? Car alors j’ai affermi ses colonnes, c’est-à-dire les colonnes de la terre, quand ils ont appris par ma résurrection à ne pas craindre la mort. « Jusqu’à ce que je sois passé, je suis seul » ; mais quand je serai passé je me multiplierai ; beaucoup suivront mon exemple, beaucoup souffriront pour mon nom. Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ; mais quand je serai passé, beaucoup ne seront qu’un avec moi. « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ». Écoutez le mystère de cette parole. D’après l’expression grecque, le mot Pâque semblerait avoir le sens de passion, car pasxein signifie souffrir ; mais dans la langue hébraïque, ceux qui l’ont étudiée ont traduit Pascha par passage. Car si nous interrogeons ceux qui connaissent le grec, ils nous diront que Pascha n’est pas un mot grec Passion se traduit en grec par pathos et non par Pascha. Donc Pâques signifie passage, comme nous l’ont appris les savants hébreux qui nous ont traduit ce que nous devons lire, Donc, aux approches de la passion, l’Évangéliste se sert de cette même expression : « Quand vint l’heure », dit-il, « où Jésus devait passer de ce monde à son Père ». C’est la même expression employée par le Prophète : « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé ». Après la Pâque, je ne serai plus seul ; après mon passage je ne serai plus seul, beaucoup m’imiteront, beaucoup me suivront. Mais s’ils me suivent alors, que sera-ce en attendant ? « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé ». Pourquoi le Seigneur dit-il dans notre psaume : « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie effectué mon passage ? » Qu’avons-nous expliqué ? Si nous l’avons compris, écoute alors les paroles du Sauveur dans l’Évangile : « En vérité, en vérité, je vous le déclare », nous dit-il, « si le grain de froment ne tombe en terre pour y mourir, il demeure seul ; mais s’il meurt, il produit beaucoup de fruits ». Voilà ce qu’il disait en ce même endroit où il dit encore : « Quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai toutes choses à moi[5]. Si donc le grain de froment ne tombe à terre pour y mourir, il demeure seul ; mais qu’il vienne à mourir, et il rapportera beaucoup de fruits ». Ce grain devait donc produire une abondante moisson ; mais attends, il faut qu’il meure ; car si le grain ne tombe à terre, et ne meurt, il est toujours seul.
26. Donc il était seul avant de passer parle mort. Aussi Pierre alors n’avait-il pas encore assez de force ; il devait avoir la force de le suivre, et non de le précéder. Car avant le Christ, nul n’est mort pour le Christ, c’est-à-dire pour confesser ce nom du Christ qui nous fait chrétiens. Beaucoup sont morts, il est

  1. Mt. 26,75
  2. Jn. 13,36
  3. Ps. 74,4
  4. Jn. 13,1
  5. Jn. 12,24-25.32