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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/252

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comme si cette âme qui le troublait par sa tristesse lui disait : Pourquoi me faire espérer dans le Seigneur ? la conscience que j’ai de mes fautes m’en détourne ; je sais le mal que j’ai fait, et tu me dis : « Espère dans le Seigneur ». Tu as péché, il est vrai ; sur quoi néanmoins baser ton espérance ? C’est que je « le confesserai ». De même que Dieu hait le pécheur qui défend ses péchés, de même il aide celui qui les confesse. C’est donc cette espérance, et elle ne saurait être sans joie, bien que dans les difficultés de cette vie pleine d’orages et de tempêtes ; c’est, dis-je, cette espérance qui relève notre âme, et qui lui donne la joie, comme l’a dit l’Apôtre : « Soyez pleins de joie dans l’espérance, et patients dans vos maux »[1]. Elle se relève donc pour louer le Seigneur, et on lui dit : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ».
3. Mais quel est l’interlocuteur, et à qui s’adresse-t-il ? Que dirons-nous, mes frères ? Est-ce la chair qui dit : « Bénis le Seigneur, « Ô mon âme ? » La chair peut-elle donner à l’âme un conseil aussi salutaire ? Quelque soumise qu’elle soit, à quelque servitude que nous l’ayons réduite par les forces qui nous viennent de Dieu ; dût-elle nous obéir comme l’esclave le plus docile ; c’est beaucoup déjà qu’elle ne nous soit point un obstacle. Ensuite, mes frères, on ne demande conseil qu’aux plus parfaits. Notre âme est bonne sans doute, notre chair est bonne, puisque l’une et l’autre sont l’ouvrage de celui qui a bien t’ait toutes choses[2]. Quoique ces deux substances soient bonnes chacune en son genre, l’Apôtre a dit néanmoins : « Le corps est mort à cause du péché[3] ». Sans doute ce corps sera tel un jour que Dieu nous l’a promis ; mais il ne l’est pas encore, et nous nous réjouissons dans l’espérance qu’un jour il sera racheté, selon cette parole de l’Apôtre : « Nous gémissons en nous-mêmes, dans l’attente de l’adoption, qui sera la délivrance de notre corps. Car nous sommes sauvés par l’espérance. Mais l’espérance qui verrait ne serait plus l’espérance ; comment espérer ce que l’on voit ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience[4] ». Bien que notre corps soit bon en lui-même ; néanmoins, tant qu’il est mortel à cause du péché, tant qu’il est dans l’indigence, tant qu’il est assujetti à la corruption et au changement, de manière à n’avoir en lui-même aucune consistance, assurément nous avons lieu d’en désirer la rédemption, qui le tirera de cette misère. Mais comment doit-il être un jour ? Tel que l’Apôtre nous l’a dit quelque part : « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruption, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité[5] ». Mais notre corps fût-il déjà un corps céleste et spirituel, un corps angélique et dans la société des anges, il ne pourrait même, en cet état, donner des avis à notre âme. Car le corps, dès lors qu’il est corps, est inférieur à l’âme, et l’âme la plus vile est toujours supérieure au corps le plus excellent.
4. Ne vous étonnez point qu’une âme vile et pécheresse soit toujours préférable au corps le plus parfait, le plus accompli ; non point par son mérite, maïs par sa nature. Sans doute l’âme pécheresse a toujours quelque souillure par ses désirs déréglés ; et néanmoins l’or, fût-il souillé, est toujours plus précieux que le plomb le plus pur. Que votre esprit passe en revue toutes les créatures, et vous ne trouverez pas incroyable que l’âme la plus vile soit plus précieuse que le corps le plus excellent. L’âme et le corps sont bien différents ; j’ai un reproche pour l’âme, un éloge pour le corps ; un reproche pour l’âme qui est dans l’injustice, un éloge pour le corps qui est vigoureux. Et toutefois, dans son genre, je puis louer ou blâmer l’âme, comme je puis blâmer ou louer le corps. Si vous me demandez quel est le meilleur, ou ce que j’ai blâmé, ou ce que j’ai loué, ma réponse vous étonnera. Assurément j’ai blâmé l’un, j’ai loué l’autre ; et quand on me demande quel est le meilleur, je réponds : Ce que j’ai blâmé est préférable à ce que j’ai loué. Si ma réponse te surprend, souviens-toi de ce que j’ai dit à propos du plomb et de l’or. J’ai blâmé l’or il n’est pas bon, il est souillé, il n’est ni brillant ni épuré ; ce plomb est très bon, rien de plus net. J’ai blâmé l’un, j’ai loué l’autre ; je les mets sous tes yeux, blâmant l’un et louant l’autre. Mais après ce reproche et cette louange, si tu me demandes quel est le meilleur, je répondrai l’or le moins pur est préférable au plomb le plus net. Comment préférable ? Pourquoi le blâmer dès lors ? Pourquoi l’ai-je blâmé ? Parce que cet or n’est point ce qu’il peut être. Que peut-il

  1. Rom. 13,12
  2. Gen. 1,31
  3. Rom. 8,10
  4. Id. 23-25
  5. 1 Cor. 15,53