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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/258

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sans doute, me dira l’homme, je le vois : Dieu a fait le ciel, et la terre, et les mers. Mais quand est-ce que Dieu me compte parmi ses œuvres ? Est-il vrai qu’il prenne soin de moi, que je sois l’objet de ses pensées, qu’il sache même que je suis en vie ? Que dis-tu, ô mon frère ? ferme ton cœur à ces funestes pensées ; prends place parmi ceux dont nous disions tout à l’heure : « Je louerai le Seigneur dans ma vie, je chanterai mon Dieu tant que je suis ». Mais c’est à des hommes tièdes que notre interlocuteur tient ce langage, il les stimule, il semble craindre qu’ils ne désespèrent d’eux-mêmes, dès lors que peut-être ils ne sont point dans la pensée de Dieu. Ils sont nombreux, en effet, ceux qui pensent de la sorte. Mais ils ne quittent le Seigneur, ils ne s’abandonnent au courant de toutes sortes de péchés, que par cette pensée que Dieu ne prend d’eux aucun souci. Écoute les saintes Écritures, et ne désespère plus de toi-même. Celui qui a pris soin de te faire n’aura-t-il donc plus soin de te refaire ? Ton Dieu n’est-il pas celui qui a fait le ciel et la terre ? Si le Prophète n’avait rien ajouté, peut-être pourrais-tu dire : Le Dieu qui a fait le ciel et la terre est grand sans doute ; mais sa pensée descend-elle jusqu’à moi ? On te répondrait : C’est lui qui t’a fait. Comment ? Est-ce donc moi qui suis le ciel, ou moi la terre, ou moi la mer ? Il est évident que je ne suis ni le ciel, ni la terre, ni la mer ; mais je suis sur la terre. Tu es donc sur la terre, tu l’accordes du moins. Écoute maintenant que Dieu n’a pas fait seulement le ciel, et la terre et les mers ; car « il a fait le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qui les occupe ». Si donc tout ce qui les occupe est son ouvrage, toi aussi. Dire toi, ce n’est point assez : il a fait le passereau, la sauterelle, un vermisseau ; il n’est rien de tout cela qu’il n’ait fait, rien dont il ne prenne soin. Et ce soin n’est point éveillé par ses lois seulement, puisqu’il n’a donné des préceptes qu’à l’homme seul. Le Psalmiste a dit en effet : « Vous sauverez, Seigneur mon Dieu, les hommes et les animaux, selon votre grande miséricorde[1] ». C’est donc selon votre infinie miséricorde que vous sauverez les hommes et les bêtes. Mais l’Apôtre ajoute : « Est-ce que Dieu prend soin des bœufs[2] ? ». D’une part nous lisons donc : Dieu ne prend aucun soin des bœufs ; d’autre part : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux ». Est-ce là une contradiction ? Que veut dire l’Apôtre dans cette question : « Dieu prend-il soin des bœufs ? » Quand le Seigneur a dit : « Vous ne lierez point la bouche au bœuf qui foule le grain[3] », avait-il donc en vue les bœufs ? Il voulait spécifier certains bœufs en particulier. Car le Seigneur n’entend pas t’apprendre à soigner des bœufs ; l’homme fait ici naturellement ce qu’il doit faire. Il est ainsi fait qu’il doit prendre soin des animaux qui lui appartiennent, Dieu ne lui a fait aucun précepte à cet égard, il lui a seulement donné la tendance qui l’a rendu propre à le faire : voilà ce qu’a fait Dieu. Mais un autre doit le conduire, comme lui-même conduit son bétail ; et celui qui le dirige, lui a donné des préceptes. C’est donc dans le sens d’un précepte que Dieu se met peu en peine des bœufs ; mais dans le sens de cette providence universelle par laquelle il a créé tout, et gouverne tout, nous devons dire : « C’est vous, Seigneur, qui « sauverez les hommes et les animaux ».
14. Que votre charité redouble d’attention. Quelqu’un m’objectera peut-être : C’est le Nouveau Testament qui dit que Dieu ne prend pas soin des bœufs ; tandis que l’Ancien Testament nous dit : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux ». On calomnie parfois les deux Testaments, en disant qu’ils ne sont point d’accord. Qu’un homme s’en vienne me dire qu’il y a contradiction entre l’Ancien et le Nouveau, et me demander dans le Nouveau, un passage qui ressemble à celui-ci : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux » ; que répondrai-je ? Rien de plus sommaire dans le Nouveau Testament, que l’Évangile. Or, je trouve dans cet Évangile que Dieu prend soin de tous les animaux, et dès lors nul ne saurait me contredire. L’Apôtre serait-il donc en contradiction avec l’Évangile ? Écoutons le Seigneur lui-même prince et maître des Apôtres : « Considérez », nous dit-il, « les oiseaux du ciel, qui ne sèment point, qui ne moissonnent point, qui n’amassent point dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit[4] ». Donc, en dehors de l’homme, Dieu prend soin des animaux, seulement pour les nourrir, non pour leur donner des lois. Donc, s’il s’agit des préceptes, Dieu n’

  1. Ps. 35,7
  2. 1 Cor. 9,9
  3. Deut. 25,4
  4. Mt. 6,26