Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/274

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et à ces hommes qui servent les autres il fait croître l’herbe. De là cette parole de l’Apôtre : « Celui qui fait paître le troupeau, ne mangera-t-il pas de son lait[1] ? C’est lui qui donne leur nourriture aux troupeaux et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ». Allons-nous croire que les corbeaux invoquent le Seigneur pour recevoir de lui leur nourriture ? Gardez-vous de croire qu’un animal sans raison invoque le Seigneur, il n’y a pour l’invoquer que l’âme raisonnable. Il y a donc ici une figure, et ne croyez pas, comme l’ont dit certains impies, que l’âme de l’homme retourne après la mort dans les bestiaux, dans les chiens, les porcs, les corbeaux. Loin de vous, loin de votre foi ces pensées. L’âme de l’homme est faite à l’image de Dieu[2], et Dieu ne donnera point son image à un chien, à un pourceau. Que signifie donc : « Et aux petits des corbeaux qui lui demandent leur nourriture ? » Quels sont ces petits des corbeaux ? Les Israélites se vantaient d’être les seuls justes, parce qu’ils avaient reçu la loi, et ils regardaient comme pécheurs les hommes des autres nations. Et en effet toutes les autres nations étaient plongées daims le péché, dans l’idolâtrie, dans le culte de la pierre et du bois ; mais y sont-ils demeurés ? Et si nos pères, qui étaient des corbeaux, n’invoquaient pas Dieu, nous, les fils de ces corbeaux, ne l’invoquons-nous point ? « Il donne aux troupeaux leur nourriture, et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ». C’est bien aux petits des corbeaux que saint Pierre a dit : « Ce n’est point par des objets corruptibles, comme l’or et l’argent, que vous avez été rachetés de la vie pleine de vanité que vous suiviez à l’exemple de vos pères[3] ». Car ces petits des corbeaux qui semblaient adorer les idoles de leurs pères se sont convertis à Dieu ; et aujourd’hui le petit du corbeau n’invoque et n’adore qu’un seul Dieu. Quoi donc ? diras-tu à ce petit du corbeau : As-tu bien pu quitter ton père ? Oui, tout à fait ; car le corbeau n’invoquait pas Dieu, et moi, le petit du corbeau, j’invoque le Seigneur. « Et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ».
19. « Il ne met pas sa complaisance dans la puissance du cheval[4] ». Cette puissance du cavalier, c’est l’orgueil. On dirait que le cheval est né afin de porter l’homme et de l’élever plus haut ; de là cette encolure qui, chez cet animal, témoigne de sa fierté, Que les hommes ne se glorifient point de leurs dignités, qu’ils ne se croient point élevés par les honneurs qu’ils reçoivent, qu’ils prennent garde qu’ils n’en soient précipités comme d’un cheval fougueux. Vois en effet ce que dit un autre psaume : « Ceux-ci se glorifient de leurs chariots, ceux-là de leurs chevaux ; mais nous, c’est dans le nom du Seigneur notre Dieu ». C’est-à-dire, les uns se glorifient de leurs honneurs temporels, mais nous du nom du Seigneur que nous adorons. Aussi, que leur est-il arrivé ? Voyez ce qui suit : « Leurs pieds se sont embarrassés, et ils sont tombés ; mais nous nous sommes relevés et tenus debout[5] #Rem. Car le Seigneur ne met point sa complaisance, et ne met point ses délices dans les tabernacles de l’homme ». « Dans les tentes de l’homme », dit le Psalmiste ; car la tente de Dieu c’est l’Église répandue par toute la terre. Les hérétiques, en se séparant des tabernacles de l’Église, ont élevé des tentes pour eux-mêmes, et c’est dans ces tabernacles de l’homme que Dieu ne met point ses complaisances. Mais écoute le petit du corbeau qui dit : « J’ai choisi l’abjection dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tentes des pécheurs »[6] Qu’un homme de bien, qu’un homme pieux qui connaît sa faiblesse, que ce petit du corbeau qui invoque le Seigneur, vienne à être sans dignité temporelle dans l’Église, il ne s’en sépare point pour cela, il ne se fait point en dehors de l’Église une tente en laquelle Dieu ne mettrait point ses complaisances. Mais que dit-il ? « J’ai choisi l’abjection dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tabernacles des pécheurs ; et Dieu ne fera point ses délices des tabernacles de l’homme ».
20. Que dit encore le Prophète ? « Il mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent, et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde[7] ». Dieu se plaît dans ceux qui le craignent. Mais craint-on Dieu comme on craindrait un voleur ? On craint en effet le voleur, on craint la bête féroce, on craint beaucoup l’homme injuste et puissant. « Le Seigneur mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent ». Mais comment le craignent-ils ? « En mettant leur espérance dans sa miséricorde ». Judas qui trahit le Christ

  1. 1 Cor. 9,7
  2. Gen. 1,26
  3. 1 Pi. 1,18
  4. Ps. 146,10
  5. Ps. XLX, 8-9
  6. Id. 83,11
  7. Id. 146,11