Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/282

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son âme, comment pourrait-il aimer la mienne ? Toutefois, c’est par une bienveillance et perverse, et vaine, et futile, si l’on peut appeler cela bienveillance, qu’ils nous plaignent de perdre ce qu’ils aiment. Prions à notre tour, afin qu’ils ne perdent point ce que nous aimons. Voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète exhorte à louer Dieu, ou plutôt dont il prédit la louange. Ce ne sera point quand nous verrons Dieu, et quand nous l’aimerons, quand nous le louerons, que le Prophète aura besoin d’en gager, de stimuler cette ville à louer le Seigneur ; mais les Prophètes nous parlent de la sorte, afin de nous porter à goûter, autant que possible, en cette chair fragile, ces joies futures des bienheureux, et en jetant dans nos oreilles le trop plein de leur âme, d’allumer en nous l’amour de cette cité divine. Que nos désirs soient donc fervents ; loin de nous tout cœur tiède.
9. Mais voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète invite à louer Dieu, et pourquoi elle doit le louer. C’est parce que son bonheur sera parfait. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem ; ô Sion, loue ton Dieu ». Et comme si Jérusalem demandait : Comment louer Dieu avec une telle sécurité ? « C’est », dit le Prophète, « parce qu’il a fortifié les barrières de tes portes[1] ». Redoublez d’attention, mes frères. « Il a fortifié les barrières de tes portes ». On affermit les barrières non des portes ouvertes, mais des portes closes. De là vient qu’on lit dans plusieurs exemplaires : « Il a fortifié les serrures de tes portes ». Que votre charité comprenne ceci. Le Prophète dit que c’est une Jérusalem bien fermée qui loue le Seigneur. « Loue de concert le Seigneur, Ô Jérusalem ; Sion, loue ton Dieu ». Nous louons maintenant le Seigneur, nous le louons de concert, mais au milieu des scandales. Beaucoup entrent parmi nous contre notre volonté, beaucoup s’en vont, en dépit de nos efforts ; de là tant de scandales. « Et comme l’iniquité abonde », a dit la Vérité, « la charité refroidit chez plusieurs[2] », à cause de ceux qui entrent et que nous ne saurions juger, et de ceux qui sortent sans que nous puissions les retenir. Pourquoi ? parce que la perfection n’est point d’ici-bas, ni le bonheur d’ici-bas. Pourquoi encore ? Parce que nous sommes dans l’aire et non dans le grenier. Que faire alors, sinon d’être sans crainte pour l’avenir ? « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem ; loue ton Dieu, ô Sion : parce qu’il a fortifié les barrières de tes portes ». « Il a fortifié », dit le Prophète, et non seulement il a mis des barrières. Que nul ne sorte plus, que nul n’entre plus. Que nul ne sorte, c’est ce qui nous réjouit ; que nul n’entre plus, c’est ce qu’il nous faut craindre. Mais sois sans crainte, on ne parlera de la sorte que quand tu seras entré. Sois seulement au nombre de ces vierges qui prirent avec elles de l’huile[3].
10. Ces vierges, en effet, désignent les âmes. Elles n’étaient pas seulement au nombre de cinq, mais ces cinq marquent des milliers. Dans ce nombre cinq sont donc renfermés des milliers non de femmes seulement, mais d’hommes aussi ; car ce mot de femme désigne les deux sexes à cause de, l’Église ; puisque l’Église, qui renferme les deux sexes, est appelée vierge. « Je vous ai fiancée à l’unique Époux, pour vous présenter à Jésus-Christ comme une Épouse chaste[4] ». Peu sont vierges de corps, mais tous doivent l’être de cœur. La virginité du corps consiste dans une chair intacte, la virginité du cœur, dans une foi pure. On dit de toute l’Église qu’elle est vierge, et au masculin on la nomme peuple de Dieu : or, les deux sexes forment le peuple de Dieu, un seul peuple, un peuple unique ; de même qu’il n’y a qu’une seule Église, une seule colombe ; et dans cette virginité, des saints par milliers. Ces cinq vierges dès lors désignent toutes les âmes qui doivent entrer dans le ciel : et le nombre cinq n’est point employé sans raison, puisque le corps est doué de cinq sens, comme chacun sait. Rien ne passe du corps dans l’âme que par ces cinq portes, car toute convoitise mauvaise nous vient soit des yeux, soit de l’odorat, soit du goût, soit des oreilles, soit du tact. Quiconque n’a point laissé entrer la corruption par ces cinq portes, est mis au nombre des cinq vierges. Or, la corruption est la fille des désirs illicites ; et l’Écriture nous fait voir de toutes parts ce qui est permis ou ce qui ne l’est point. Il est donc nécessaire que tu sois au nombre de ces cinq vierges, et tu n’auras pas à craindre cette parole : Que nul n’ose entrer. C’est en effet ce qui est écrit et ce qui sera exécuté ; à ton entrée, toutefois, nul ne

  1. Ps. 147,13
  2. Mt. 24,12
  3. Mt. 25,4
  4. 2 Cor. 11,2