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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/31

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le même, dont les années ne finiront point. Hélas ! mes frères, nos années sont-elles constantes, et ne s’en vont-elles pas chaque jour ? Celles du passé ne sont plus, celles de l’avenir ne sont pas encore ; les unes sont écoulées, et les autres ne viendront que pour s’écouler encore. Et dans ce jour même où nous vous parlons, mes frères, nous n’avons qu’un moment : les premières heures sont déjà passées, les autres ne sont point encore, et, quand elles seront écloses, elles passeront pour ne plus subsister. Quelles sont les années qui ne passent point, sinon celles qui demeurent stables ? Si donc les années du ciel demeurent stables, si elles ne sont qu’une même année, et cette seule année un seul jour, puisque ce jour n’a ni aurore ni crépuscule, ne fait point suite au jour d’hier, pour faire place à celui de demain, mais demeure toujours stable, et quelque nom que l’on donne à ce jour, qu’on l’appelle jour ou année, la pensée néanmoins se figure quelque chose qui demeure : telle est la permanence de notre Cité, dont les habitants sont dans l’unité. C’est donc avec raison qu’il veut partager cette immutabilité celui qui se hâte pour y arriver en nous disant : « Nos pieds étaient fermes dans le parvis de Jérusalem ». Car tout est ferme où rien ne passe. Veux-tu demeurer stable, sans passer jamais ? Hâte-toi d’y arriver. Personne n’a de soi cette stabilité. Écoutez bien, mes frères : tout ce qui tient au cœur n’est pas de l’unité, car il ne demeure pas en lui-même. Il change avec les années, il change avec les lieux et les temps, il change avec les maladies, les affaiblissements de la chair : il n’a donc point de stabilité en lui-même. Les corps célestes non plus ne sont pas stables en eux-mêmes. Ils ont leurs changements quoique secrets ; ils changent de lieu certainement, ils montent de l’Orient à l’Occident, puis reviennent à l’Orient : ils ne demeurent donc point, ils ne sont point toujours les mêmes. L’âme de l’homme, à son tour, n’est point stable. À combien de changements, à combien de pensées diverses n’est-elle point assujettie ? Quelles inégalités dans ses plaisirs ! Quels désirs, quels déchirements n’y causent point les passions ! L’esprit de l’homme, qu’on dit raisonnable, est mobile et ne demeure point le même. Tantôt il veut, et tantôt ne veut point ; tantôt il sait, et tantôt ne sait point ; tantôt il se souvient, et tantôt il oublie ; nul n’a donc de soi-même l’uniformité. Celui qui a voulu avoir cette uniformité, être à soi-même son unité, celui-là est tombé ; ange, il est tombé, et s’est lait démon. Il a présenté à l’homme la coupe de l’orgueil, il a fait tomber par jalousie celui qui était debout[1]. L’un et l’autre ont voulu être à eux-mêmes leur stabilité, être leurs maîtres, ne relever que d’eux-mêmes ; ils n’ont pas voulu avoir pour maître le Seigneur, qui est véritablement idipsum, stable, et à qui le prophète a dit : « Vous les changerez, et ils seront changés ; mais vous, vous demeurerez toujours le même[2] ». Donc après tant de langueurs, de si graves maladies, de si épineuses difficultés, de si pénibles travaux, que ton âme s’humilie devant Celui qui est le même ; qu’elle entre dans cette cité bienheureuse, dont les habitants sont toujours les mêmes.
7. « C’est là que sont montés les tribus[3] ». Nous cherchions où devait monter celui qui est tombé ; car, avons-nous dit, ce psaume est la voix de l’homme qui s’élève, de l’Église qui monte ; mais où monter ? Où va-t-elle ? Où s’élève-t-elle ? C’est là que sont montées les tribus, dit le Prophète. Où se sont-elles élevées ? Dans la cité dont les citoyens sont toujours les mêmes. C’est donc là qu’on s’élève, dans la Jérusalem céleste. Or, l’homme, qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs[4]. Il n’y tomberait point, s’il ne descendait. Mais puisque en descendant il est tombé au pouvoir des voleurs, qu’il monte pour arriver jusqu’aux anges. Qu’il s’élève donc, puisque les tribus se sont élevées. Quelles tribus ? Beaucoup les connaissent, mais beaucoup ne les connaissent point. Mais nous, qui les connaissons, descendons vers ceux qui ne connaissent point ces tribus, afin qu’ils s’élèvent avec nous où les tribus sont montées. On pourrait appeler ces tribus des curies, mais improprement ; nul autre nom ne saurait, à proprement parler, remplacer le mot de tribu ; celui de curie en approché seulement. Car, si nous parlons de curies, on ne comprendra que ces curies réparties en chacune des villes ; de là les dénominations de curial ou de décurion, pour celui qui appartient à la curie ou à la décurie ; et vous savez que chaque cité a ses curies. Or, il y a, ou il y avait autrefois dans ces mêmes cités les curies du peuple, et une même cité

  1. Gen. 3,1
  2. Ps. 101,27-28
  3. Id. 121,4
  4. Lc. 10,30