Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/311

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chasseur. Ils ne donneront donc rien s’ils ne sont applaudis ; que les fous applaudissent, et les voilà fous eux-mêmes ; oui, tous également fous, et celui qui se donne en spectacle, et celui qui regarde, et celui qui donne. C’est bien cette gloire folle que condamne le Seigneur, qui est odieuse aux yeux du Tout-Puissant. Et toutefois, mes frères, le Christ ne laisse pas de faire aux siens ce reproche : J’ai moins reçu de vous que n’ont reçu des chasseurs, et pour leur donner, vous avez pris ce qui m’appartenait : « Pour moi, j’étais nu, et vous ne m’avez point revêtu ». Mais eux : « Quand, Seigneur, nous vous avons vu sans habits, et ne vous avons-nous point revêtu[1] ? » Mais lui : « Quand vous l’avez refusé au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez refusé ». Mais tu n’as voulu revêtir que celui qui te plaît. En quoi donc le Christ a-t-il pu te déplaire ? Tu veux revêtir un athlète, qui te fera rougir s’il est vaincu ; tandis que le Christ n’est jamais vaincu ; c’est lui qui a vaincu le diable, vaincu à la place, vaincu pour toi, vaincu en toi. Voilà le vainqueur que tu ne veux point revêtir. Pourquoi ? Parce qu’on t’applaudit moins, parce qu’il y a moins de folles clameurs. De là vient, mes frères, que ceux qui se repaissent d’une telle joie n’ont rien dans la conscience. Comme ils épuisent leurs coffres, en donnant des vêtements, ils épuisent leur conscience, de manière à n’y rien conserver de précieux.
11. Quant aux saints qui tressaillent dans la gloire, il n’est point nécessaire que nous parlions de leur joie : écoutez seulement le verset qui suit : « Les saints tressailliront dans la gloire, leur allégresse éclatera dans le lieu du repos » ; non point dans les théâtres ou dans les amphithéâtres, non point dans les cirques, non point dans les folies, non point hors d’eux-mêmes ; mais dans le lieu de leur repos. Qu’est-ce à dire, « dans le lieu de leur repos ? » dans leurs cœurs. Écoutez comme l’Apôtre se réjouit dans le lieu de son repos : « Toute notre gloire, la voici, le témoignage de notre conscience[2] ». Il est à craindre néanmoins que tel homme ne mette sa confiance en lui-même, et ne s’élève avec orgueil dans sa propre confiance. Chacun doit tressaillir avec crainte[3], parce que le don de Dieu qui fait sa joie ne vient point de ses propres mérites. Il en est beaucoup qui se complaisent en eux-mêmes, et se croient justes ; or, voici contre eux une autre page des Écritures : « Qui peut se glorifier de posséder la pureté du cœur ; ou qui osera se vanter d’être exempt de péchés[4] ? » Il est donc une certaine manière de nous applaudir dans notre conscience, c’est quand tu reconnaîtras que ta joie est pure, que ton espérance est certaine, que ta charité est sans dissimulation. Mais comme il est en nous bien d’autres points capables d’offenser Dieu, bénis le Dieu qui t’a gratifié de ces vertus, et qui alors perfectionnera ce qu’il a commencé. Aussi, après avoir dit : « Ils tressailliront dans le lieu de leur repos », le Prophète semble craindre qu’ils ne mettent leur complaisance en eux-mêmes, et il ajoute aussitôt : « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche[5] ». Ils tressailliront dès lors dans leurs lits de repos, non point de manière à s’arroger le bien qui est en eux, mais de manière à louer celui de qui ils ont reçu d’être ce qu’ils sont, qui les appelle à être ce qu’ils ne sont point encore, de qui seul ils attendent la perfection, qu’ils remercient de ce qu’il a commencé en eux. « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche ». Voyez maintenant les saints, voyez leur gloire, voyez dans le monde entier, voyez que les jubilations de Dieu sont dans leur bouche.
12. « Et dans leurs mains des framées à deux tranchants ». On appelle framée ce que nous appelons vulgairement spatule. Il y a, en effet, des glaives qui n’ont qu’un tranchant : tels sont les sabres. Mais la framée, qui se nomme aussi espadon et spatule, est une épée à double tranchant et renferme un grand mystère. « Les framées qui sont dans leurs mains sont aiguisées des deux parts ». Par ces framées à deux tranchants nous entendons la parole de Dieu ; or, cette framée est unique, mais on la met ici au pluriel, parce qu’il y a plusieurs langues et plusieurs bouches des saints. La parole de Dieu est donc un glaive à deux tranchants[6]. Pourquoi deux tranchants ? Parce qu’elle se prononce et sur les choses temporelles, et sur les choses éternelles parce qu’elle montre dans les unes et dans les autres qu’elle dit la vérité et qu’elle sépare du monde celui qu’elle frappe. N’est-ce point là ce glaive dont le Seigneur a dit : « Je ne suis point venu apporter la paix, mais

  1. Mt. 24,43-45
  2. 2 Cor. 1,12
  3. Ps. 2,11
  4. Prov. 20,9
  5. Ps. 149,6
  6. Héb. 4,12