Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/314

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et suivez-moi, et vous aurez un trésor dans le ciel[1] ». Voilà ce qu’ont fait plusieurs grands du monde ; mais ils n’ont abjuré toute grandeur mondaine, que pour embrasser la pauvreté d’ici-bas et la noblesse du Christ. D’autres, et en grand nombre, conservent leur noblesse, conservent la puissance royale, et n’en sont pas moins chrétiens. Ils sont alors comme dans les entraves, et dans les chaînes de fer. Comment cela ? Ils se sont imposé des liens, liens de la sagesse, liens de la parole de Dieu, jour s’interdire tout ce qui est illicite.
15. Pourquoi donc des liens de fer, non des chaînes d’or ? Tant qu’il y a crainte, ils sont de fer ; qu’il y ait amour et ils seront d’or. Que votre charité veuille bien m’écouter. Vous venez d’entendre ces paroles de saint Jean : « La crainte n’est point dans la charité, mais la charité parfaite bannit toute crainte, parce que la crainte contient une peine[2] ». Voilà le lien de fer. Et néanmoins, si l’homme ne commence à servir Dieu par crainte, il n’arrive pas à l’amour. « Craindre Dieu est le commencement de la sagesse[3] ». La sagesse commence donc par les liens de fer pour arriver au collier d’or ; car il est dit : « Mets ton cou dans son collier d’or[4] ». Mais tu n’arriveras point à ce collier d’or, si tout d’abord tu ne mets tes pieds dans ses chaînes de fer. À commencer par la crainte, on finit par la sagesse. Combien en est-il qui n’osent faire le mal, parce qu’ils craignent l’enfer, parce qu’ils redoutent les tourments, et non parce qu’ils aiment la justice ? Qu’on leur promette l’impunité, qu’on leur dise : Faites en pleine sécurité ce qu’il vous plaira ; et alors ils se jetteront avec frénésie dans tous les crimes. Ce qui serait plus vrai des rois et des princes, à qui l’on ne saurait dire facilement : Qu’avez-vous fait ? Pour l’homme pauvre, en effet, quand même il ne craindrait pas Dieu, comme il n’a nulle force, nulle puissance pour échapper au supplice qu’il a pu mériter, il s’abstient par la crainte des hommes, sinon par la crainte de Dieu. Quant aux puissants du monde, aux rois, aux grands, qu’ont-ils à craindre, s’ils ne craignent Dieu ? Mais on leur prêche, on les frappe du glaive à double tranchant ; on leur dit qu’il est un Dieu, pour mettre les uns à sa droite, les autres à sa gauche, pour dire à ceux de gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges[5] ». Sans aimer encore la justice, ils redoutent le châtiment, et la crainte du châtiment devient une entrave, et ces liens de fer les redressent. Voilà que vient à nous quelque grand du monde, qui aura reçu quelques outrages de sa femme, ou qui en aura convoité une plus belle, une plus riche ; il voudrait se séparer de sa femme et n’ose le faire. Il entend un serviteur de Dieu, il entend le Prophète, il entend l’Apôtre, et il s’abstient : il entend celui qui tient en main le glaive à deux tranchants, qui lui dit : Arrête, cela n’est point permis, Dieu ne te permet point de quitter ta femme, si ce n’est pour cause d’adultère[6]. Voilà ce qu’il entend, et la crainte le retient. Son pied trop léger chancelait déjà, il est retenu par les entraves. « Voilà une chaîne de fer, la crainte de Dieu ». On lui dit : Dieu te damnera, si tu le fais ; il est souverain juge de tous, il entend les gémissements de ton Épouse, et tu seras coupable à ses yeux. Le voilà entre l’amorce de la convoitise, et la crainte du châtiment. Il eût cédé à ses coupables désirs, s’il n’eût été retenu par sa chaîne de fer. Mais plus encore, Voilà cet homme qui nous dit : Je veux vivre dans la continence, je ne veux plus d’Épouse. Impossible. Que faire, si tu le veux, quand ta femme ne le veut point ? Ta continence doit-elle donc la jeter dans l’adultère ? Car elle est adultère, si de ton vivant elle passe à un autre. Or, Dieu vous empêche de compenser un si grand mal par un tel gain. Rends le devoir, et si tu ne l’exiges point, tu n’es pas moins tenu de le rendre. Dieu te tiendra compte comme d’un acte de sainteté parfaite, si tu rends à ton Épouse le devoir sans l’exiger d’elle. Tu crains et tu ne le fais pas, tu secoues tes chaînes ; mais elles sont des chaînes de fer, écoute bien : « Es-tu lié à une femme ? ne cherche pas à te délier[7] ». Voilà une chaîne dure, une chaîne de fer. Une parole du Seigneur va nous montrer aussi que c’est un lien de fer. Écoutez cette parole, ô jeunes gens, oui ce – sont des liens de fer, n’y engagez pas vos pieds ; si vous les y engagez, vous vous trouverez à l’étroit dans ces entraves. Les mains de l’évêque viennent encore les resserrer davantage. N’est-ce pas l’Église que fuient les prisonniers, et dans l’Église ils recouvrent la liberté ? On y voit venir des maris

  1. Mt. 19,21
  2. Jn. 4,18
  3. Ps. 110,10
  4. Sir. 6,25
  5. Mt. 25,41
  6. Id. 5,22
  7. 1 Cor. 7,3.27-39