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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/363

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SIXIÈME TRAITÉ.

SUR LE même ENDROIT DE L’Évangile. « POURQUOI DIEU À VOULU MONTRER LE SAINT-ESPRIT VU SOUS LA FORME DE COLOMBE », (Chap. 1, 32, 33.)

LA COLOMBE.

Pourquoi l’Esprit-Saint a-t-il été figuré par une colombe au baptême de Jésus-Christ ? Comme le corbeau est l’image de l’orgueil, de la cruauté et de la discorde, ainsi la colombe est l’emblème de l’humilité, de la simplicité, de la douceur et de la paix : et est le signe de l’unité en Dieu, dans le baptême, dans l’Église, et, par conséquent de l’union des cœurs dans la charité. Hors de là point de salut : le baptême est inutile et même nuisible : témoin celui de Simon le Magicien La colombe rapportant un rameau d’olivier dans l’arche est la preuve de ce que nous disons : d’ailleurs la foi sans les œuvres est stérile, et les œuvres sans la charité ne servent de rien pour le ciel ; sur quoi alors les Donatiens peuvent-ils s’appuyer et se tranquilliser ?


1. J’en fais l’aveu à votre sainteté : la rigueur du temps m’avait donné lieu de craindre que votre zèle se refroidît et que vous ne vous réunissiez pas ici ; mais, je le vois, et votre affluence en est la preuve, la solennité que nous célébrons a trouvé en vous des cœurs chauds : d’où je conclus que vous avez prié pour moi, afin de m’aider à vous payer ma dette. En effet, la brièveté du temps m’empêchant de vous dire avec les développements convenables pourquoi Dieu a voulu montrer le Saint-Esprit sous la forme de colombe, je vous ai promis de traiter aujourd’hui cette question au nom du Christ ; le moment est donc venu de l’expliquer, et je sens que le désir de m’entendre, ainsi que votre pieuse dévotion, vous ont rassemblés en plus grand nombre. Que Dieu tire de ma bouche de quoi remplir votre attente. C’est par affection à coup sûr que vous êtes venus, mais cette affection, quel en est l’objet ? Si c’est nous, il n’y a rien en cela que de bien ; car nous voulons être aimés de vous, mais nous ne voulons pas l’être en nous. Comme Dieu, nous vous aimons en Jésus-Christ, à votre tour aimez-nous en lui et que notre affection mutuelle nous porte à élever vers Dieu les gémissements de notre âme ; car gémir c’est le propre de la colombe.
2. Le propre de la colombe est de gémir, nous le savons tous, et c’est l’amour qui la fait gémir aussi, prête l’oreille à ce que dit l’Apôtre, et ne sois plus étonné que le Saint-Esprit ait voulu se montrer sous la forme d’une colombe : « Ce que nous devons demander comme il faut », dit-il, « nous l’ignorons ; mais le Saint-Esprit interpelle lui-même pour nous par des gémissements ineffables [1] ». Quoi donc, mes frères ! dirons-nous que l’Esprit-Saint gémit dans cette éternelle et parfaite béatitude où il est avec le Père et le Fils ? Car l’Esprit-Saint est Dieu, comme le Fils de Dieu est Dieu ; comme le Père est Dieu. J’ai dit trois fois Dieu, mais je n’ai pas dit trois dieux, parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu : vous le savez parfaitement. Donc, ce n’est pas en soi-même, ni sans sortir de soi-même, dans la Trinité, dans la béatitude, dans l’éternité de substance que gémit l’Esprit Saint ; c’est en nous, parce qu’il nous fait gémir. Et ce n’est pas peu de chose que l’Esprit-Saint nous apprenne à gémir. En effet, il nous apprend que nous sommes pèlerins, il nous apprend à soupirer vers la patrie, et ces soupirs eux-mêmes sont nos gémissements. Celui à qui tout sourit en ce monde, disons mieux, celui qui pense que tout va bien pour lui, qui tressaille de la joie des choses charnelles, de l’abondance des biens temporels et de la vaine félicité du siècle, celui-là a la voix du corbeau ; car la voix du corbeau est stridente : il ne gémit pas. Celui au contraire qui se sait sous le pressoir de cette mortalité et qui reconnaît en lui-même un pèlerin éloigné du Seigneur [2] celui qui sait ne pas être encore en possession de cette béatitude éternelle qui nous est promise, mais la possède en espérance puisqu’il y entrera seulement, lorsque le Seigneur viendra, manifesté dans la gloire, après être d’abord venu sous le voile de l’humilité ;

  1. Rom. 8, 26
  2. 2 Cor. 5, 6