Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Judas a baptisé et l’on n’a point baptisé après lui : Jean a baptisé et l’on a baptisé après Jean ; c’est que si Judas a donné le baptême, ce baptême était celui du Christ, et que le baptême donné par Jean était celui de Jean. Ce n’est pas que nous préférions Judas à Jean, mais nous préférons le baptême du Christ, même donné par les mains de Judas, au baptême de Jean, même donné par les mains de Jean. En effet, il est dit de Notre-Seigneur, qu’avant sa passion il baptisait plus de personnes que Jean, après quoi l’Évangéliste ajoute : « Encore qu’il ne baptisât pas lui-même, mais ses disciples [1] ». Ils prêtaient au Christ leurs services pour baptiser, mais le pouvoir de baptiser demeurait tout entier en lui. Donc ses disciples baptisaient, et Judas se trouvait encore parmi eux. Ceux que Judas a baptisés, ne l’ont pas été une seconde fois, et ceux que Jean a baptisés, l’ont-ils été de nouveau ? Évidemment, oui. Mais on ne leur a pas donné un nouveau baptême ; car ceux que Jean avait baptisés, c’était Jean qui les avait baptisés ; ceux au contraire que Judas a baptisés, ont été baptisés par le Christ. De même en est-il de ceux qu’a baptisés un ivrogne ou un homicide, ou un adultère ; si ce baptême était celui du Christ, ils ont été baptisés par le Christ. Je ne crains ni l’adultère, ni l’ivrogne, ni l’homicide, parce que je fais attention aux paroles de la colombe « C’est celui-là qui baptise ».

19. Au reste, mes frères, c’est une folie de prétendre que, sinon Judas, du moins n’importe quel autre homme, a été plus riche en mérites que celui dont il a été écrit : « Parmi les enfants des hommes, il n’en a paru aucun meilleur que Jean-Baptiste[2] ». On ne lui préfère donc aucun serviteur ; mais on préfère le baptême du maître, même donné par un méchant serviteur, au baptême du serviteur, ami du maître. Écoute quels sont ceux que l’apôtre Paul appelle des faux frères : ce sont ceux qui prêchent la parole de Dieu par jalousie. Qu’en dit-il ? « Et je m’en réjouis, et je m’en réjouirai toujours ». En effet, ils annonçaient le Christ par jalousie ; mais enfin c’était le Christ[3] qu’ils annonçaient ; ne considérez point le mobile qui dirige le prédicateur, mais le sujet de sa prédication. Est-ce par motif d’envie qu’on t’annonce le Christ ? Porte ton attention sur le Christ et évite l’envie. N’imite pas le mauvais prédicateur, mais suis les traces du bon Sauveur qu’on t’annonce. Ainsi, certaines gens prêchaient le Christ par jalousie. Qu’est-ce que la jalousie ? C’est un mal horrible. C’est lui qui a fait tomber le diable ; cette peste maligne en a fait tomber beaucoup d’autres. Certains hommes qui prêchaient le Christ, en étaient atteints ; cependant l’Apôtre les laissait prêcher. Pourquoi ? Parce qu’ils prêchaient le Christ. Toutefois, la jalousie ne va pas sans la haine ; et de celui qui hait, que dit l’apôtre Jean ? Écoutez, voici ses paroles : « Celui qui hait son frère est homicide [4] ». Voilà qu’on a baptisé après Jean ; après un homicide on ne l’a pas fait, parce que Jean a donné son baptême, tandis que l’homicide a donné celui du Christ. Ce sacrement est si saint qu’un ministre homicide ne le souille pas.

20. Je ne rejette pas Jean ; j’aime mieux croire à Jean. Par rapport à quoi croirai-je Jean ? Par rapport à ce que lui a appris la colombe. Qu’a-t-il appris par la colombe ? « C’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ». Donc, mes frères, tenez-vous-en là et pénétrez vos cœurs de cette vérité. Car si je voulais aujourd’hui développer entièrement ma pensée et vous dire pourquoi Jean a été ainsi instruit par la colombe, je n’en finirais pas. Que Jean eût appris par la colombe ce qu’il ne savait pas du Christ, bien qu’il connût déjà le Christ, je crois l’avoir expliqué à votre sainteté ; mais cette connaissance, pourquoi a-t-il dû la recevoir par l’intermédiaire de la colombe ? Si je pouvais vous le dire en quelques mots, je vous le dirais ; mais il me faudrait beaucoup de temps pour vous l’expliquer ; je ne veux pas vous être à charge, Vos prières m’ont aidé à accomplir la promesse que je vous ai faite ; aidé encore, et plus efficacement, par vos pieuses dispositions et vos vœux secourables, je vous ferai voir pourquoi Jean n’a pu apprendre que par la colombe ce qu’il a appris du Seigneur, à savoir que « c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit » et qu’il n’a légué à aucun de ses serviteurs le pouvoir de baptiser.

  1. Jn. 4, 1, 2
  2. Mt. 11, 11
  3. Phil. 1, 15-18
  4. 1 Jn. 3, 15