Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/391

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hui : « Mon heure n’est pas encore venue ».
10. Si je ne me trompe, mes frères, nous avons répondu aux hérétiques ; répondons maintenant aux mathématiciens. Pourquoi ceux-ci prétendent-ils que Jésus était soumis à la fatalité ? C’est, assurent-ils, parce qu’il a dit : « Mon heure n’est pas encore venue ». Donc, nous croyons à sa parole. Et s’il avait dit : Je n’ai pas le moment, il aurait mis hors de cause les mathématiciens. Mais, disent-ils, voici ses paroles : « Mon heure n’est pas encore venue ». Si donc il avait dit : Je n’ai pas le moment, il aurait mis hors de cause les mathématiciens ; il n’y aurait pas de prétexte à leurs calomnies ; mais comme il a dit : « Mon heure n’est pas encore venue », que pouvons-nous opposer à ses paroles ? C’est merveille de voir les mathématiciens ajouter foi aux paroles de Jésus-Christ et s’efforcer en même temps de convaincre les chrétiens que le Christ a vécu nus la fatalité d’une heure. Qu’ils ajoutent donc foi aux paroles de Jésus-Christ lorsqu’il dit : « J’ai le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre de nouveau ; personne ne me l’enlève, mais je la quitte de moi-même, et de nouveau je la reprends [1] ». Un tel pouvoir dépend-il du destin ? Un homme qui a le pouvoir de décider quand il mourra, et combien de temps il vivra, est-il soumis à la fatalité ? Qu’ils nous le montrent donc ! Mais ils ne le montreront pas. Qu’ils ajoutent par conséquent foi à ces paroles du Sauveur « J’ai le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre de nouveau » ; qu’ils cherchent ensuite pourquoi il a dit : « Mon heure n’est point encore venue », et qu’en raison de ces paroles ils ne soumettent pas à la fatalité l’auteur du ciel, le créateur et l’ordonnateur des astres. D’ailleurs, si les astres étaient les maîtres du destin, celui qui a créé les astres ne pouvait être assujetti à la nécessité qu’ils imposent. Ajoute à cela que ce que tu appelles le destin, le Christ, non seulement n’y est pas soumis, mais ni toi, ni moi, ni un autre, ni personne, n’en subissons la fatalité.

11. Quoi qu’il en soit, et parce qu’ils se sont laissé séduire, ces malheureux cherchent à séduire à leur tour : ils proposent aux hommes leurs moyens de séductions, ils tendent leurs pièges pour les prendre, et cela sur les places publiques. Au moins ceux qui tendent des pièges aux animaux sauvages choisissent pour cela les forêts et les lieux déserts. Combien sont malheureux et vains ceux à qui l’on tend des pièges jusque sur les places publiques, afin de les prendre ! Les hommes reçoivent de l’argent pour se vendre à d’autres hommes, et ceux-ci donnent le leur pour se vendre à la vanité ! Car ils entrent chez un astrologue pour s’y procurer des maîtres tels qu’il plaît à cet homme de leur en donner : Saturne, Jupiter, Mercure, ou tout autre de nom aussi sacrilège. Il est entré libre, afin, pour son argent, de sortir esclave. Que dis-je ? Il ne serait pas entré s’il avait été libre ; mais il est entré là où l’erreur, où la cupidité l’attiraient pour en faire leur esclave. C’est ce qui a fait dire à la vérité : « Tout homme qui commet le péché est l’esclave du péché[2] ».

12. Pourquoi donc Jésus-Christ a-t-il dit : « Mon heure n’est pas encore venue ? » C’était surtout parce que, ayant le pouvoir de mourir quand il le voudrait, il ne jugeait pas opportun d’en user encore. Pourquoi, par exemple, mes frères, disons-nous : L’heure est venue de partir afin de célébrer les mystères ? Si nous sortons avant l’heure convenable, ne nous con luisons-nous pas en dehors de la règle et à contre-temps ? Mais, si nous ne sortons qu’au moment opportun, est-ce que la fatalité dicte nos paroles ? Quel est donc le sens de ces paroles : « Mon heure n’est pas encore venue ? » L’heure n’est pas encore venue pour moi de savoir que le moment de souffrir est venu pour moi, et que ma passion sera utile. Quand elle sera venue, alors je souffrirai volontairement. De cette façon seront vrais pour toi ces deux passages : « Mon heure n’est pas encore venue » ; et : « J’ai le pouvoir de donner ma vie et de la reprendre à nouveau ». Jésus-Christ était donc venu avec le pouvoir de choisir le moment de sa mort. Mais s’il était mort avant d’avoir choisi ses disciples, à coup sûr il eût agi à contre-temps. Or, s’il n’avait pas eu le pouvoir de choisir l’heure de sa mort, il aurait pu mourir avant de choisir ses disciples ; et s’il était mort après les avoir choisis et instruits, c’eût été un effet, non pas de sa propre volonté, mais de la volonté d’autrui. Mais il était venu avec le pouvoir de s’en aller et de revenir, de s’avancer jusqu’où il voulait,

  1. Jn. 10, 18
  2. Jn. 8, 34