Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/396

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que la charité même ? Aussi l’Apôtre la relève-t-il au point d’en dire ceci : « J’ai à vous montrer une voie suréminente. Quand je parlerais la langue des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand je connaîtrais tous les mystères, quand je posséderais toute science, quand j’aurais le don de prophétie, quand toute foi me serait donnée jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, il ne me sert de rien[1] ». La charité est donc bien précieuse, puisque sans elle tout est inutile, puisque avec elle tout est profit. Toutefois, cet éloge si brillant et si flatteur que l’apôtre Paul fait de la charité, en du moins que ce petit mot de l’apôtre Jean dont nous expliquons l’Évangile ; car il n’a pas craint de dire : « Dieu est charité[2] ». Et il est encore écrit « que la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné[3] ». Qui donc nommera le Père et le Fils, sans entendre parler aussi de la charité du Père et du Fils ? Celui qui a cette charité a le Saint-Esprit, et quiconque ne l’a pas, le Saint-Esprit n’est pas en lui. Séparé de son esprit, qui est ton âme, ton corps est mort. Ainsi en est-il de ton âme ; sépare-la du Saint-Esprit, c’est-à-dire de la charité, c’est comme si elle était morte. « Les urnes contenaient donc deux mesures », parce qu’à toutes les époques le Père et le Fils ont été annoncés dans les prophéties : mais le Saint-Esprit l’était aussi bien qu’eux ; de là cette addition, « ou trois mesures ». « Moi et mon Père », dit Jésus-Christ, « nous sommes un[4] » ; mais à Dieu ne plaise qu’il soit fait exclusion du Saint-Esprit là où le Sauveur dit : « Moi et mon Père sommes un ». Cependant le Père et le Fils étant seuls nommés à cet endroit, accordons que « les urnes contiennent seulement « deux mesures » ; mais le texte ajoute : « ou trois mesures ». En voici la raison : « Allez, baptisez les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit[5] ». Ainsi, quand l’Évangile dit : « deux mesures », il ne fait pas mention expresse de la Trinité, il la sous-entend ; mais lorsqu’il dit : « trois mesures », il la déclare formellement.
9. Il y a de ce passage une autre interprétation qu’il ne faut pas passer sous silence. Je vais vous la dire, et alors chacun choisira celle qui lui conviendra le mieux ; pour nous, nous ne voulons pas vous frustrer de ce que Dieu nous donne. Car vous êtes à la table du Seigneur, et il n’est pas juste que celui qui y sert retranche une partie des aliments aux convives, surtout à des convives comme vous, qui se montrent si affamés. Les prophéties qui ont eu lieu dès les temps anciens ont pour but le salut de toutes les nations. Sans doute Moïse a été envoyé au seul peuple d’Israël ; c’est à ce peuple seul que la loi a été donnée par son ministère ; c’est des rangs de ce peuple que sont sortis les Prophètes ; c’est en vue de ce peuple que la distinction des âges a été établie ; aussi est-il dit des urnes qu’elles étaient destinées « aux purifications en usage chez les Juifs ». Toutefois, que ces prophéties aient aussi été faites aux autres nations, on n’en saurait douter, puisqu’en ce peuple était caché Jésus-Christ, en qui toutes les nations de la terre sont bénies suivant cette promesse de Dieu à Abraham : « Toutes les nations seront bénies en Celui qui sortira de toi [6] ». Mais Jésus-Christ n’était pas encore reconnu, parce que l’eau n’avait pas encore été changée en vin. Les prophéties avaient donc lieu pour toutes les nations. Pour faire ressortir plus clairement à vos yeux cette vérité, nous allons, dans les limites du temps dont nous pouvons disposer, vous parler de ces différents âges que figuraient les six urnes de notre Évangile.
10. Au commencement Adam et Eve étaient les premiers parents de tous les hommes, et pas seulement des Juifs. Par conséquent, tout ce qui en Adam figurait le Christ était du domaine de toutes les nations, puisqu’elles n’ont de salut qu’en Notre-Seigneur. Que dirai-je de mieux approprié à l’eau de la première urne que ce que l’Apôtre a dit d’Adam et d’Eve ? Personne, en effet, ne pourra trouver mauvaise ma manière de comprendre les choses, puisqu’au lieu de l’inventer de moi-même, je l’emprunte à l’Apôtre. C’est à lui seul un étonnant mystère relativement au Christ, que celui auquel l’Apôtre fait allusion dans ce passage : « Ils ne feront tous deux«

  1. 1 Cor. 12, 31 ; Id. 13, 1-3
  2. 1 Jn. 4, 16
  3. Rom. 5, 5
  4. Jn. 10, 30
  5. Mt. 28, 19
  6. Gen. 22, 18