Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/43

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nous insulter ? Le larron crucifié avec le Sauveur ne lui a-t-il pas insulté[1] ? Si donc ceux-là aussi qui ne sont point dans l’abondance ont aussi des insultes pour nous, comment le psaume nous dit-il : « Nous sommes l’opprobre de ceux qui sont dans l’abondance ? » Mais, à bien prendre les choses, ils sont aussi dans l’abondance. Quelle abondance ? Sans cette abondance, ils ne seraient point orgueilleux. Pour l’un, c’est l’abondance de l’argent, et de là son orgueil ; pour l’autre, c’est l’abondance des honneurs, et de là son orgueil ; un troisième se croit riche en justice, ce qui est pire encore, et de là son orgueil. Ceux que l’on voit dépourvus des biens de ce monde s’imaginent qu’ils ont contre Dieu des trésors de justice ; et dans le malheur ils se justifient, en accusant Dieu lui-même, et en disant : Qu’ai-je fait, où est ma faute ? Tu leur réponds : Examinez si vous n’avez fait aucune faute, rentrez en vous-mêmes. À ces paroles, la conscience de cet homme est émue, il rentre en lui-même, il pense aux fautes qu’il a commises ; et néanmoins, après y avoir pensé, il refuse encore d’avouer qu’il a ce qu’il mérite. Sans doute, j’ai beaucoup péché, nous dit-il, mais j’en vois d’autres et en grand nombre, plus coupables que moi, et néanmoins épargnés. Le voilà juste contre Dieu il est donc dans l’abondance, son cœur est plein de sa propre justice, il s’imagine que Dieu l’afflige sans sujet, qu’il souffre injustement. Donne à cet homme un vaisseau à gouverner, il fera naufrage avec son vaisseau il veut néanmoins ôter à Dieu la direction de ce monde, gouverner lui-même la création, et distribuer à tous les joies et les douleurs, les châtiments et les récompenses. Âme infortunée ! et qu’y a-t-il d’étonnant ? elle est dans l’abondance, mais abondance de malice, abondance d’iniquités ; elle est plus riche en iniquités qu’elle ne se croit riche de justice.
11. Or, un chrétien ne doit pas être dans l’abondance, mais reconnaître qu’il est pauvre ; et s’il a des richesses, il doit comprendre assez qu’elles ne sont point les richesses véritables, et en désirer d’autres. Car, celui qui convoite les fausses richesses, ne recherche point les véritables, et celui qui recherche les véritables est encore pauvre, et peut dire en toute vérité : « Je suis pauvre et affligé[2] ». Ensuite, comment peut-on dire qu’un homme soit dans l’abondance, quand il est pauvre et plein de malice ? On le dit, parce que sa pauvreté lui déplaît, et qu’il croit son cœur plein d’une justice qu’il oppose à la justice de Dieu. Et quelle abondance de justice pouvons-nous avoir ? Quelque grande que puisse être notre justice, elle n’est qu’une goutte de rosée auprès de cette inépuisable source, une miette auprès de ce rassasiement ineffable, et cette miette adoucit notre vie, nous aide à supporter le châtiment de nos fautes. Aspirons à boire aux pleines eaux de la justice ; aspirons à nous rassasier de cette abondance, dont il est dit dans le psaume : « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, vous les ferez boire au torrent de vos voluptés »[3]. Mais, tant que nous demeurons sur la terre, nous devons nous croire pauvres et dépourvus, non seulement de ces richesses qui ne sont point les richesses véritables, mais aussi de celles du salut. Et même, avec la santé, reconnaissons que nous sommes faibles. Tant que ce corps a faim et soif, tant qu’il est fatigué de veiller, fatigué d’être debout, fatigué de marcher, fatigué d’être assis, fatigué de manger, quelque part qu’il se tourne pour soulager une fatigue, il rencontre une fatigue nouvelle : l’homme n’a donc point ici-bas une santé parfaite, pas même en son corps. Il n’a donc point les richesses, mais la mendicité et plus on possède ces biens, plus s’accroît en nous la pauvreté et l’avarice. Ce n’est donc point là pour le corps la santé, mais bien la langueur. Chaque jour nous viennent de Dieu des remèdes adoucissants, puisque nous buvons et que nous mangeons ; ce sont là des remèdes que nous prépare sa bonté. Et si vous voulez, mes frères, connaître l’intensité de notre maladie, qu’un homme demeure à jeun pendant sept jours, et la faim le tuera. Cette faim est donc en nous, et nous ne la sentons point, parce que nous y apportons chaque jour le remède : notre santé n’est donc point parfaite.
12. Que votre charité veuille bien écouter comment nous devons entendre notre pauvreté, de manière à lever nos regards vers Celui qui habite les cieux. Les richesses de la terre ne sont point de véritables richesses, puisqu’elles augmentent les désirs chez ceux qui les possèdent. La santé du corps n’est point

  1. Lc. 23,39-40
  2. Ps. 39,18
  3. Ps. 35,9