Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/453

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quelque événement futur, donnons pour le moment une patrie à Jésus-Christ considéré comme homme (il n’a pu en avoir une sur la terre qu’en raison de l’humanité dont il s’y est revêtu). Supposons que la nation juive lui a servi de patrie. Or, il est sûr qu’il n’y jouit d’aucun honneur. Examine, en effet, en quel état se trouve aujourd’hui la masse du peuple Juif ; elle se voit dispersée dans toutes les contrées de l’univers, elle a été arrachée de son sol ; ses rameaux brisés, coupés, jetés de côté et d’autre, ont perdu leur sève, et l’olivier sauvage a été greffé à la place des branches rompues[1]. Considère attentivement la masse de ce peuple. Que dit-il maintenant ? Celui que vous adorez, devant lequel vous fléchissez le genou, était notre frère. Réponds-lui : « Un prophète n’est point honoré dans sa patrie ». Le Seigneur Jésus a vécu au milieu d’eux ; il a fait des prodiges ; il a rendu la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, l’usage de la langue aux muets, le mouvement aux paralytiques ; il a devant eux marché sur la mer, commandé aux vents et aux flots, ressuscité les morts ; et tous ces miracles opérés sous leurs yeux, ont à peine décidé quelques-uns d’entre eux à croire en lui. Je n’adresse au peuple de Dieu ; nous formons une multitude innombrable de croyants, et pourtant, de quels prodiges avons-nous été les témoins ? Donc, ce qui se passait alors en Judée présageait ce qui se passe aujourd’hui parmi nous. Les Juifs ont été ou sont encore pareils aux Galiléens ; pour nous, nous ressemblons aux Samaritains. Nous avons entendu prêcher l’Évangile et nous y avons donné notre assentiment ; l’Évangile nous a fait croire au Christ ; nous n’avons vu opérer aucun miracle, et pour croire, nous n’en avons exigé aucun.

4. Le disciple Thomas a désiré mettre ses doigts dans les plaies du Sauveur : c’est pourquoi il a été un israélite et a fait partie de la nation du Christ. En effet, Jésus lui a fait le même reproche qu’à l’officier. Il a dit à celui-ci : « Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croyez point ». Et à celui-là : « Parce que tu as vu, tu as cru ». Il était venu chez les Galiléens, après avoir quitté Samarie : les habitants de cette ville avaient ajouté foi à sa parole, sans l’avoir vu accomplir aucun prodige ; il s’était séparé d’eux plein de sécurité sur la solidité de leur foi, car il restait avec eux par sa divine présence. Au moment où le Sauveur disait à Thomas « Viens, mets ici ta main, et sois, non pas incrédule, mais fidèle », celui-ci toucha les plaies du divin Crucifié, et s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Alors son Maître lui adressa ce reproche : « Parce que tu m’as vu, tu as cru ». Pourquoi cela ? Évidemment, parce qu’« un Prophète n’est point honoré dans son pays ». Mais comme ce Prophète est honoré chez des étrangers, que lisons-nous ensuite ? « Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru[2] ». Voilà une prédiction qui nous concerne : et ce dont le Christ a fait l’éloge bien avant notre naissance, il a daigné l’accomplir en notre personne. Les hommes qui l’ont fait mourir sur la croix l’ont vu et touché, et, cependant, il s’en est trouvé, parmi eux, un bien petit nombre pour croire en lui ; et nous, qui ne l’avons ni vu de nos yeux ni touché de nos mains, il nous a suffi d’en entendre parler, et nous y avons cru. Puisse la béatitude, qu’il nous a promise, s’opérer et se perfectionner en nous, d’abord ici-bas, parce que nous avons été préférés à ceux de son pays, et, enfin, dans le siècle à venir, car nous avons été entés à la place des branches rompues !

5. Qu’il dût briser ces branches, et enter à leur place cet olivier sauvage, le Christ nous l’a annoncé par sa conversation avec le centurion. Celui-ci lui avait dit : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison ; mais prononcez seulement une parole, et mon enfant sera guéri. Je suis, en effet, un homme soumis à d’autres, et j’ai des soldats à mes ordres ; je dis donc à celui-ci : Va, et il va ; et à celui-là : Viens, et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela, et il le fait ». Emu d’une foi pareille, « le Sauveur se tourna vers ceux qui le suivaient et leur dit : « En vérité, je vous le dis, je n’ai pas rencontré une pareille foi en Israël ». Pourquoi n’a-t-il pas trouvé une pareille foi en Israël ? Parce qu’ « un Prophète n’est jamais honoré dans sa patrie ». Est-ce que Jésus ne pouvait pas dire à ce centurion ce qu’il avait dit à l’officier « Va, ton fils est guéri ? » Voyez la différence qui se trouvait entre eux ! L’officier désirait voir le Sauveur descendre jusque dans sa maison : le centurion, de

  1. Rom. 11, 17
  2. Jn. 20, 25-29