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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/458

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nous le faire entendre plus parfaitement encore, quand, après sa résurrection, il a consacré quarante jours à converser sur la terre avec ses disciples[1]. Le quarantième jour, il monta au ciel, et dix jours après il leur envoya, comme récompense, le Saint-Esprit[2]. Ceci a été préfiguré, et la réalité a été annoncée d’avance par certains emblèmes. La vue de ces emblèmes nous sert comme d’aliment, pour nous fortifier et nous aider à parvenir à la réalité même. Nous sommes, en effet, des ouvriers, et nous travaillons encore à la vigne ; le jour fini, l’ouvrage terminé, Dieu nous rémunérera de nos peines. Mais quel est l’ouvrier capable de persévérer dans le travail, jusqu’à l’heure du paiement ? Celui-là seul qui prend de la nourriture dans le cours de la journée ; car il est sûr que tu ne te bornes pas à donner à tes ouvriers leur salaire : ne leur donnes-tu pas aussi de quoi réparer leurs forces épuisées par le travail ? Oui, tu nourris ceux que tu dois rémunérer. Les emblèmes contenus dans les Écritures sont donc l’aliment dont Dieu nous nourrit pendant le pénible cours de notre vie ; car s’il nous enlevait la joie de comprendre toutes ces mystérieuses figures de l’avenir, nous tomberions, au milieu de notre travail, sous le poids de la fatigue, et nul d’entre nous ne serait capable de voir arriver l’heure de la récompense.

6. Pourquoi donc le nombre quarante indique-t-il que le travail est arrivé à son terme ? Peut-être parce que la loi a été donnée en dix préceptes, et qu’elle devait être annoncée par tout l’univers ; car le monde se divise en quatre parties : l’Orient, l’Occident, le Midi et l’Aquilon. Aussi, dix multiplié par quatre, donne le nombre quarante. Peut-être est-ce encore parce que la loi se trouve parfaitement accomplie par l’Évangile, qui se compose de quatre livres ; il est dit, un effet, dans l’Évangile : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir[3] ». Quel que soit le motif en question ; que ce soit celui-ci ou celui-là, ou tout autre, inconnu de nous, mais connu de plus savants, peu importe ; il est certain, néanmoins, que le nombre quarante indique en un sens que les bonnes œuvres sont arrivées à leur terme : par bonnes œuvres j’entends surtout un certain retranchement des désirs coupables du siècle, c’est-à-dire, le jeûne pris dans son acception la plus étendue. Écoute l’Apôtre. Voici ce qu’il dit lui-même : « L’amour est la plénitude de la loi[4] ». Comment nous vient la charité ? Par là grâce de Dieu, par l’Esprit-Saint. Nous ne pouvons la posséder de nous-mêmes, comme si nous la faisions ; c’est un don de Dieu, et un don inappréciable : « Car », dit Paul, « la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné [5] ». La charité accomplit donc la loi, et c’est en toute vérité qu’il a été dit : « La charité est la plénitude de la loi ». Voyons comment Dieu nous recommande cette vertu. Rappelez-vous ma proposition : je veux vous parler des trente-huit ans du paralytique de l’Évangile ; je veux vous expliquer comment il se fait que le nombre trente-huit indique plutôt la maladie que la santé ; je l’ai dit : La charité accomplit la loi : et à l’entier accomplissement de la loi, en n’importe quelles œuvres, se rapporte le nombre quarante. Mais, relativement à la charité, nous avons reçu deux commandements. Je vous en prie, réfléchissez bien à ce que je vous dis, et gravez-le profondément dans votre mémoire : tenez du cas de mes paroles ; car, autrement, votre âme ressemblerait à un grand chemin où ne germe point le grain qui y tombe : « Les oiseaux du ciel viendront », dit le Sauveur, « et ils le mangeront [6] ». Comprenez ceci, et renfermez-le soigneusement dans votre cœur. Par rapport à la charité, le Seigneur nous a donné deux commandements ; les voici : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes [7] ». La veuve de l’Évangile n’a-t-elle pas fait don à Dieu de deux misérables pièces d’argent qui composaient tout son avoir[8] ? Est-ce que l’hôtelier n’a pas reçu deux deniers pour veiller à la guérison du malheureux blessé que des voleurs avaient laissé à moitié mort sur le chemin[9] ? Jésus n’a-t-il point passé deux jours chez les Samaritains, pour les affermir dans la charité[10] ? Lorsqu’il s’agit de quelque bonne œuvre, le nombre deux a donc trait au double précepte de la charité : de là

  1. Act. 1, 3
  2. Id. 2, 1-4
  3. Mat. 5, 17
  4. Rom. 13, 10
  5. Id. 5, 5
  6. Mrc. 4, 4
  7. Mat. 22, 37-40
  8. Luc. 21, 2-4
  9. Id. 10, 35
  10. Jn. 4, 40