Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/482

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esprits et des cœurs, a-t-il établi entre eux une différence ? Non ; ceux qui écouteront vivront, parce que l’obéissance sera pour eux la source de la vie ; niais, tout en ressuscitant et en sortant de leurs tombeaux, tous ne parviendront pas à la vie éternelle ; il n’y aura pour cela que ceux qui auront bien fait : ceux qui auront mal fait ressusciteront pour le jugement. Le Sauveur entend le mot jugement dans le sens de supplice. Et alors aura lieu la séparation des uns et des autres, mais bien différente de celle qui existe aujourd’hui. À l’heure présente, nous sommes séparés, non par la distance, mais par nos mœurs, nos affections, nos désirs, notre foi, notre espérance, notre charité. Nous vivons côte à côte avec les pécheurs ; mais, chez tous, la conduite n’est pas la même ; nous sommes désunis, séparés les uns des autres, d’une manière imperceptible à l’œil. Nous ressemblons au froment, quand il se trouve dans l’aire, et non quand il est renfermé dans le grenier. Dans l’aire, les grains de froment sont tout à la fois séparés les uns des autres, et mélangés ensemble : ils sont séparés, lorsqu’on les fait sortir de la paille ; ils sont mélangés, puisqu’on ne les a pas encore criblés. Alors se manifestera la différence de la vie d’après celle de la conduite, et la différence des corps d’après celle de la sagesse des mœurs. Ceux qui auront bien fait iront vivre avec les anges de Dieu ; ceux qui auront mal fait iront partager les tourments du démon et de ses anges. Alors disparaîtra la forme d’esclave. Comme il se sera présenté avec cette forme pour lui faire exercer le jugement, il se retirera de ce monde immédiatement après, conduisant à sa suite le corps dont il est le chef, et il remettra à Dieu son royaume [1]. À ce moment apparaîtra, dans toute sa splendeur, la forme divine qu’il aura forcément voilée aux regards dès méchants, pour ne leur laisser voir que sa forme d’esclave. Voici ce qu’il en dit ailleurs : « Ceux-ci » (il veut désigner ceux qui seront à gauche) « iront au e feu éternel ; mais les justes iront dans la vie sans fin [2] ». Parlant de cette vie sans fin, il s’exprime ainsi en un autre endroit : « C’est la vie éternelle de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé[3] ». Alors, dans le séjour de la vie éternelle se manifestera celui qui, étant Dieu, n’a point cru que ce fût de sa part une usurpation de s’égaler à Dieu [4]. Alors il se montrera tel qu’il a promis de se montrer à ceux qui l’aiment. « Celui qui m’aime garde « mes commandements ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai, et je me montrerai moi-même à lui ». Il se trouvait devant ceux auxquels il parlait ; mais s’ils avaient sous les yeux sa forme d’esclave, ils ne voyaient point sa forme divine. Ils ont été conduits sur une bête de somme à l’hôtellerie pour y recouvrer la santé : une fois guéris, ils verront, car « je me montrerai moi-même à eux ». Et comment voit-on qu’il est égal au Père ? Il l’indique lui-même par ces paroles adressées à Philippe : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père[5] ».
19. « Je ne puis rien faire de moi-même : je juge ainsi que j’entends, et mon jugement est juste ». Nous pourrions être tentés de lui dire : Vous jugerez, et votre Père ne jugera pas, puisqu’il est dit : « Il a donné tout jugement au Fils ». Par conséquent, ce n’est pas d’après votre Père que vous jugerez ; aussi a-t-il ajouté : « Je ne puis rien faire de moi-même : je juge ainsi que j’entends, et mon jugement est juste ; car je ne cherche point ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Évidemment, le Fils donne la vie à ceux à qui il veut la donner. Il ne cherche pas sa volonté, mais la volonté de Celui qui l’a envoyé. Je ne cherche pas ma volonté, c’est-à-dire ma volonté propre, la volonté du Fils de l’homme, une volonté qui résiste à celle de Dieu. Quand les hommes font ce qu’ils veulent au lieu de faire ce qu’ordonne le Seigneur, ils agissent suivant leur volonté, et non suivant celle de Dieu ; mais lorsqu’ils font leur volonté, de manière à ce qu’elle reste subordonnée à celle de Dieu, ils n’agissent nullement suivant leur volonté propre, quoiqu’ils fassent ce qu’ils veulent. Fais volontairement ce qu’on te commande ainsi feras-tu même ce que tu veux, et, au lieu d’agir à ta volonté, tu feras celle de ton supérieur.
20. Mais que signifient ces paroles : « Ainsi que j’entends, je juge ? » Le Fils entend, le Père se montre à lui, et le Fils voit agir le Père. Nous avions différé de vous expliquer ce passage, afin de le faire de notre mieux et d’une

  1. 1 Cor. 15, 24
  2. Mt. 25, 46
  3. Jn. 17, 3
  4. Phil. 2, 6
  5. Jn. 14, 21, 9