Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/548

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

puissance, mais il nous consolait dans notre faiblesse. Car suivant la remarque que j’en ai faite, il devait arriver que quelque fidèle se cacherait pour échapper aux recherches de ses persécuteurs ; et afin qu’on ne pût faire à ce chrétien un crime de sa fuite, le Christ s’est dérobé le premier aux poursuites des Juifs ; il n’est arrivé aux membres que ce qui était d’abord arrivé au chef. « Il ne voulait point aller dans la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir ». Comme s’il ne pouvait voyager au milieu des Juifs, sans qu’ils le fissent mourir. Il donna, quand il voulut, la preuve du pouvoir qu’il avait de leur échapper ; car, au moment de sa passion, ils cherchèrent à mettre la main sur lui ; alors il leur dit : « Qui cherchez-vous ? » — Ils lui répondirent : Jésus. – Et il leur dit : C’est moi ». Certes, il ne se cachait pas ; il se faisait nettement connaître. À cette réponse, ils ne purent se tenir debout ; mais, « reculant en arrière, ils tombèrent [1] ». Or, parce qu’il était venu en ce monde pour souffrir, ils se relevèrent, s’emparèrent de sa personne, le traduisirent au tribunal de Pilate et le mirent à mort. Mais quel fut le résultat de leur conduite ? L’Écriture nous le dit quelque part : « La terre fut livrée aux méchants [2] ». Il abandonna son corps entre les mains des Juifs, afin que le prix de notre rédemption s’en échappât, comme du sein d’une bourse déchirée.
3. « Or, la fête des Juifs, appelée scénophagie, était proche ». Qu’était-ce que la scénophagie ? Ceux qui lisent l’Écriture le savent. En ce jour de fête, les Juifs se faisaient des tentes pareilles à celles qui leur servaient d’abri dans le désert, après la sortie d’Égypte. Ce jour-là était un jour de fête, une grande solennité. Les Juifs la célébraient, comme pour se rappeler le souvenir des bienfaits de leur Dieu, et de fait, ils se préparaient à faire mourir ce même Dieu. Or, en ce jour de fête, (les Juifs en solennisaient plusieurs, et ils donnaient à celui-ci le nom de scénophagie, parce qu’il n’était pas le seul, mais qu’il y en avait encore d’autres ;) « les frères » du Seigneur Christ vinrent lui parler. Vous n’ignorez pas le sens qu’il faut donner au mot « frères » du Seigneur : ces paroles n’ont rien de nouveau pour vous. On donnait le nom de frères du Seigneur aux parents de la vierge Marie. L’Écriture donne habituellement le nom de frères à tous les parents, et à ceux qui étaient presque parents ; nous ne nous exprimons pas de la même manière, parte que cet usage n’est pas entré dans nos mœurs. Parmi nous, en effet, qui est-ce qui s’aviserait de donner le nom de frère à son oncle et au fils de sa sœur ? À des parents de ce degré, l’Écriture le donne pourtant. Effectivement, Abraham et Loth sont appelés frères, quoiqu’Abraham fût l’oncle paternel de Loth[3]. Il en est de même de Laban et de Jacob, et cependant celui-ci était le neveu de celui-là[4]. Ainsi, rappelez-vous que les frères du Seigneur n’étaient autres que les parents de Marie ; car elle ne donna jamais le jour à d’autres enfants. De même, en effet, que le sépulcre dans lequel fut déposé le corps du Sauveur ne servit de tombeau à personne, ni avant ni après ; de même, Marie ne conçut aucun homme dans son sein, ni avant ni après Jésus-Christ.
4. Nous venons de dire quels étaient ces frères du Seigneur, Écoutons maintenant ce qu’ils ont dit : « Partez d’ici, et allez en Judée, afin que vos disciples aussi voient les œuvres que vous faites ». Les disciples du Sauveur connaissaient ses œuvres, mais ceux-ci ne les connaissaient pas. Car, en qualité de frères, c’est-à-dire de parents, ils pouvaient bien regarder le Christ comme un de leurs proches ; mais à cause de leur parenté, il leur répugnait de croire en lui. L’Évangile lui-même nous le dit : nous n’oserions le penser de nous-mêmes, mais nous en sommes sûrs pour l’avoir entendu. Ils ajoutent cet avertissement : « On ne fait rien en secret, lorsqu’on cherche à se faire connaître. Si vous faites ces choses, montrez-vous vous-même au monde ». « Car », dit immédiatement l’Évangéliste, « ses frères mêmes ne croyaient point en lui ». Pourquoi ne croyaient-ils pas en lui ? Parce qu’ils recherchaient la gloire de ce monde ; car si les frères du Sauveur semblent lui donner un conseil, c’est qu’ils veulent assurer sa renommée. Vous faites des merveilles, manifestez-les donc au grand jour ; c’est-à-dire, montrez-vous à tous, afin que tous proclament vos louanges. C’était la chair qui parlait à la chair, mais la chair séparée de Dieu, à la chair unie à Dieu : la prudence de la chair parlait au Verbe, qui

  1. Jn. 18, 4-6
  2. Job. 9, 24
  3. Gen. 11, 27, 31 ; 13, 8 ; 95, 14
  4. Id. 28, 2 ; 29, 10,15