Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/571

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des hommes, aux miracles opérés par la foi, à la science et à la prophétie, et même à cette grande œuvre de miséricorde, qui consiste à distribuer son bien aux pauvres ; et à toutes ces grandes et merveilleuses choses, il préfère la charité[1]. Aie donc la charité, et tu posséderas toutes choses, car, sans elle, rien de ce que tu pourrais avoir, ne te serait de quelque utilité. Mais parce qu’au Saint-Esprit me rapporte cette charité dont nous parlons, (l’Évangile nous fournira bientôt l’occasion de vous entretenir encore de l’Esprit-Saint) écoute ces paroles de l’Apôtre : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné [2] ».
9. Mais pourquoi le Sauveur a-t-il voulu attendre jusques après sa résurrection pour donner l’Esprit-Saint, dont les opérations en uns âmes sont admirables, puisque l’amour de Dieu a été répandu par lui dans nos cœurs ? Qu’a-t-il voulu nous apprendre par là ? Qu’en ressuscitant nous-mêmes, nous devons être enflammés par la charité, et que, sous son influence, il faut étouffer en nous l’amour du monde, afin que rien ne nous empêche de tendre tout entiers vers Dieu. Nous prenons naissance et nous mourons ici-bas, mais ce bas monde ne doit pas être l’objet de nos affections : sortons-en donc par la charité ; fixons plus haut notre demeure à l’aide de cette vertu qui nous fait aimer Dieu. Pendant le cours de ce pèlerinage terrestre, n’ayons pas d’autre pensée que celle-ci : Nous n’avons point ici de demeure permanente, mais nous devons y bien vivre, pour nous préparer une place en ce séjour éternel d’où il ne nous faudra jamais sortir. Depuis sa résurrection, Notre-Seigneur Jésus-Christ « ne meurt plus : désormais », comme le dit l’Apôtre, « la mort n’aura plus d’empire sur lui[3] ». Voilà ce qui doit être l’objet de nos affections. Si nous vivons pour celui qui est ressuscité, si nous croyons en lui, il nous récompensera ; mais, pour cela, il ne nous donnera pas ce qu’aiment les hommes qui n’aiment pas Dieu ; ce qu’ils aiment d’autant plus, qu’ils aiment moins le Seigneur ; ce qu’ils aiment d’autant moins, qu’ils aiment davantage le souverain Maître. Et, maintenant, voyons ce qu’il nous a promis : ce ne sont ni les richesses de la terre et du temps, ni les honneurs et la puissance de ce monde : tous ces avantages, il les départit même aux méchants, afin que les bons n’en fassent pas beaucoup d’estime. Il ne nous a pas non plus promis la santé du corps ; non pas qu’il ne soit le maître de l’accorder, mais parce que, vous le voyez, il la donne même aux animaux. Serait-ce une longue vie ? Pouvons-nous considérer comme une vie longue celle qui finira un jour ? A des hommes de foi il n’a pas davantage promis la longévité ou une vieillesse avancée, que tous désirent atteindre avant qu’elle soit venue, dont tous se plaignent quand ils y sont une fois arrivés. Il n’est pas plus question de cette beauté du corps qui disparaît sous les atteintes d’une maladie ou sous les rides d’une vieillesse désirée avec ardeur. On veut jouir des agréments de la beauté : on prétend parvenir à un grand âge : deux désirs incapables de concorder ensemble. Si tu deviens vieux, adieu la beauté, car elle s’enfuira aux approches de la vieillesse ; une fraîche vigueur et les douleurs de la caducité mie peuvent, en même temps, se trouver dans le même corps. Tous ces avantages restent donc en dehors des promesses de Celui qui a dit : « Que celui qui croit en moi, vienne et boive ; et des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Il nous a promis la vie éternelle, où nous n’éprouverons aucune crainte, où nous ne ressentirons aucun trouble, d’où nous n’aurons pas à sortir, où nous ne mourrons point, où nous ne devrons ni pleurer ceux qui nous auront précédés, ni désirer d’être remplacés par d’autres. Voilà ce que le Sauveur a promis de nous donner, si nous l’aimons et si notre cœur brûle du feu de la charité du Saint-Esprit ; aussi n’a-t-il voulu nous donner cet Esprit-Saint qu’après qu’il a été glorifié ; car il voulait manifester dans son corps la vie, qui n’est pas encore notre partage, mais que nous posséderons après notre propre résurrection.

  1. 1 Cor. 12, 7 ; 13, 3
  2. Rom. 5, 5
  3. Id. 6, 9