Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/590

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En ce que sur la croix il s’est écrié « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font [1] ». Il a donc dit : « Moi, je ne juge personne », en ce sens qu’il n’était point venu juger le monde, mais le sauver ; ou bien, comme j’en ai fait la remarque, il a prononcé ces paroles : « Moi, je ne juge personne », par allusion et opposition à celles-ci : « Vous jugez selon la chair », d’où nous devons conclure que le Christ ne juge pas selon la chair, c’est-à-dire de la même manière que les hommes l’ont jugé.
5. Remarquez, en effet, que le Christ exerce déjà la judicature, et pour cela, écoutez ce qui suit : « Et si je juge, mon jugement est véritable ». En lui, tu as déjà un juge mais reconnais-le comme ton Sauveur, et tu n’éprouveras point la sévérité de ses jugements. Et pourquoi a-t-il affirmé que son jugement est véritable ? « Parce que je ne suis pas seul, et qu’avec moi est mon Père qui m’a envoyé ». Je vous l’ai dit, mes frères : l’Évangéliste saint Jean s’élève par son vol en des régions presque inaccessibles c’est à peine si l’esprit peut saisir ses pensées. Mais il faut que je dise à votre charité la mystérieuse raison pour laquelle cet Apôtre s’élève à de pareilles hauteurs. Dans le livre du prophète Ezéchiel, comme aussi dans l’Apocalypse de saint Jean qui a écrit l’Évangile que nous lisons, il est parlé d’un quadruple animal, de quatre êtres différents, présentant la ressemblance d’un homme, d’un bœuf, d’un lion et d’un aigle[2]. Ceux qui ont exposé avant nous le sens caché des Saintes Écritures, ont vu, pour la plupart, les quatre Évangélistes dans cet animal, ou plutôt dans ces animaux. Le lion est l’emblème de la royauté, car il semble être, en un certain sens, le roi des animaux à cause de sa puissance et de sa force effrayante. Cet emblème a été attribué à Matthieu, parce que, pour établir la généalogie du Sauveur, il a suivi l’ordre de succession des rois, ses ancêtres, afin de montrer, en remontant jusqu’à la souche, qu’il était de la famille de David. Luc, au contraire, a pris pour point de départ le sacerdoce du prêtre Zacharie, et fait mention du père de Jean-Baptiste : on lui a attribué la figure du bœuf, parce que cet animal était la principale victime des sacrifices de la loi. Marc a reçu à juste titre l’emblème du Christ-Homme, car il n’a parlé ni de l’autorité des rois, ni de la puissance des prêtres ; dès le commencement de son Évangile, il n’a fait que parler du Sauveur considéré comme homme. Ces trois écrivains sacrés ont traité un sujet presque exclusivement terrestre, c’est-à-dire ils se sont occupés de ce qu’a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le cours de sa vie mortelle ; voyageant en quelque sorte avec lui sur la terre, ils ont dit peu de chose de sa divinité. Reste l’aigle ; c’est Jean lui-même, c’est cet Apôtre qui a publié de si mystérieuses choses et contemplé fixement l’éclat de la lumière intérieure et éternelle de Dieu. Les aigles éprouvent, à ce qu’on dit, leurs aiglons de cette façon : le père les enlève avec ses serres et les expose aux rayons du soleil ; celui d’entre eux qui regarde sans hésiter l’astre du jour, est reconnu comme le digne fils de ses ancêtres ; mais celui qui cligne de l’œil, on le regarde comme un enfant adultérin, et bientôt, loin de le soutenir, on l’abandonne. Voyez donc quelles grandes choses a dû dire l’Évangéliste comparé à l’aigle ! Et pourtant, nous qui trairions à terre, nous qui sommes faibles et comptons à peine parmi les hommes, nous osons parler de ces merveilleux écrits et en donner l’explication ; nous nous imaginons pouvoir les comprendre lorsque nous y pensons, et pouvoir être compris quand nous en parlons.
6. Pourquoi ces réflexions ? En effet, après un pareil discours quelqu’un me dira peut – être et avec justice : Ferme donc ton livre. Car pourquoi garder en tes mains ce qui dépasse les limites de ton intelligence ? Pourquoi vouloir nous en entretenir ? À cela je réponds : Il y a une foule d’hérétiques ; si Dieu leur a permis de se multiplier à ce point, c’est afin que nous ne fassions pas toujours du lait notre nourriture, c’est pour nous aider à sortir de notre inintelligente enfance. Ils n’ont point saisi les preuves de la divinité du Christ, contenues dans les saints livres ; ils les ont donc interprétés à leur manière ; mais parce qu’ils n’en ont pas eu la véritable intelligence, ils ont tourmenté les catholiques fidèles par des discussions embarrassantes, et ceux-ci ont fini par se laisser troubler et ébranler ; de là, pour les hommes spirituels qui avaient lu dans l’Évangile et compris les passages relatifs à la divinité du Sauveur, de là est venue la nécessité

  1. Lc. 23, 34
  2. Ez. 2, 5-10 ; Apoc. 4, 6, 7