Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/612

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le latin, m’ait entendu, qu’il m’ait toutefois entendu sans rien comprendre à ce que j’ai dit : cet homme n’a pas saisi ma pensée ; néanmoins le bruit des paroles sorties de ma bouche est venu frapper ses oreilles aussi bien que les vôtres : il a entendu le même bruit, les mêmes syllabes ; mais aucune idée n’a été par là éveillée dans son esprit. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas compris. Pour vous, si vous êtes entrés dans ma pensée, quelle en a été la cause ? J’ai fait du bruit à votre oreille, mais ai-je porté la lumière dans vos âmes ? Évidemment, si ce que j’ai dit est vrai, non seulement cette vérité est venue frapper vos oreilles, mais encore elle a été comprise par votre intelligence : deux choses ont donc eu lieu, remarquez-les bien : vous avez entendu et vous avez compris. C’est par le moyen de mon organe que vous avez entendu ; mais par qui vous est venue l’intelligence de ce que je vous ai dit ? Je vous ai parlé à l’oreille pour vous faire entendre ; qui a parlé à votre esprit pour vous faire comprendre ? On n’en peut douter ; quelqu’un a parlé à votre cœur, d’abord pour que le bruit de mes paroles produise une sensation sur votre ouïe, et ensuite pour qu’un rayon de la vérité vienne répandre son éclat sur ce même cœur : quelqu’un a parlé à votre âme, et ce quelqu’un, vous ne pouvez l’apercevoir : si vous m’avez compris, mes frères, il est sûr que votre âme a aussi entendu parler. L’intelligence est un don de Dieu. Qui donc a fait entendre à votre âme mes paroles, si vous en avez saisi le sens Celui-là même à qui le Psalmiste disait « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne à connaître vos décrets [1] ». Par exemple, l’évêque a parlé.—Qu’a-t-il dit ? demande quelqu’un.—Tu lui expliques ce qu’a dit l’évêque, et tu ajoutes : il a dit vrai.—Alors un autre qui n’a pas compris, t’adresse cette question : Qu’a dit l’évêque, ou bien, que louanges-tu dans ses paroles ? Tous les deux m’ont entendu ; j’ai parlé à l’un et à l’autre ; mais Dieu lui-même a parlé à l’un d’eux. Nous est-il permis de passer, par comparaison, du petit au grand ? Il y a entre lui et nous une si grande distance ! Néanmoins, Dieu opère en nous je ne sais quoi d’incorporel et de spirituel : ce n’est pas un son qui frappe nos oreilles, ce n’est pas une couleur qui se fasse distinguer de nos yeux ; ce n’est pas non plus une odeur que perçoive notre odorat, ce n’est pas davantage une saveur que puisse apprécier notre palais, ni un objet dur ou tendre sur lequel puisse agir le sens du toucher : pourtant, c’est quelque chose qu’on peut facilement sentir, sans pouvoir, d’ailleurs, l’expliquer d’aucune façon. Si, comme j’avais commencé à le dire, Dieu parle à nos cœurs sans leur faire entendre aucun bruit, comment parle-t-il à son Fils ? Autant que possible, mes frères, faites-vous-en une idée dans le sens que je vous ai dit ; s’il est permis d’établir une comparaison entre les grandes choses et les petites, mettez-vous dans cet ordre d’idées. Le Père a parlé à son Fils d’une manière incorporelle, parce qu’il l’a incorporellement engendré. Il n’a pas instruit son Fils, comme s’il l’avait engendré sans lui communiquer, en même temps, la science ; mais dire qu’il l’a instruit, c’est dire qu’il l’a engendré sachant tout : par conséquent, ces paroles : « Mon Père m’a instruit », signifient : Mon Père m’a engendré, possédant la science, comme la vérité est simple de sa nature, (peu de personnes le comprennent). Pour le Fils, être et savoir sont une seule et même chose : il tient donc la science de celui de qui il tient l’existence : il n’en a pas reçu, d’abord l’être, et ensuite le savoir ; mais, en l’engendrant il lui a communiqué la science, de la même manière qu’en l’engendrant il lui a communiqué l’existence. Car, suivant que je l’ai dit, la vérité étant simple de sa nature, être et savoir ne sont pas, pour elle, une chose et une autre, mais une seule et même chose.
6. Voilà ce que le Sauveur dit aux Juifs, puis il ajouta : « Et Celui qui m’a envoyé est avec moi ». Il l’avait déjà dit auparavant ; mais la chose était si importante, qu’il ne cesse d’y revenir : « Il m’a envoyé, et il est avec moi ». S’il est avec vous, Seigneur, l’un ne s’est pas séparé de l’autre pour accomplir sa mission : vous êtes venus tous les deux. Quoique tous les deux soient ensemble, un seul, néanmoins, a été envoyé, et l’autre l’a envoyé, parce qu’être envoyé, c’est s’incarner, et que l’Incarnation est le fait, non pas du Père, mais du Fils seul. Le Père a donc envoyé le Fils, mais il ne s’en est pas, séparé ; car il se trouvait là où il l’a envoyé. De fait, où n’est pas Celui qui a fait toutes

  1. Ps. 118, 73