Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/613

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choses ? Où n’est pas Celui qui a dit : « Je remplis le ciel et la terre[1] ? » Mais le Père serait peut-être partout, tandis que le Fils ne se trouverait qu’à un endroit ? Écoute l’Évangéliste : « Il était en ce monde, et le monde a été fait par lui[2] ». Donc, dit-il, « Celui qui m’a envoyé », Celui dont l’autorité a été la cause de mon Incarnation, parce qu’elle était exercée sur moi par mon Père, Celui-là « est avec moi et il ne m’a pas abandonné ». Pourquoi ne m’a-t-il pas abandonné ? « Il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît ». Son égalité avec le Père est de « toujours ». Elle ne date pas d’une époque où elle aurait commencé pour se continuer ensuite : elle est sans commencement comme sans fin. La génération de Dieu n’a pas commencé dans le temps, parce que Celui qui a été engendré a lui-même créé tous les temps.

7. « Comme il parlait de la sorte, plusieurs crurent en lui ». Pendant que je parle moi-même, puissent bon nombre de ceux qui s’inspiraient d’autres idées, me comprendre et croire en lui ! Il y a peut-être en effet des Ariens dans la multitude qui m’écoute : je n’oserais supposer qu’il s’y trouve des Sabelliens, de ces hommes qui ne voient qu’une différence de nom entre le Père et le Fils : leur hérésie est trop vieille ; elle a peu à peu perdu ses forces. Pour celle des Ariens, on croirait lui voir faire quelques mouvements, comme semble en faire un cadavre qui tombe en pourriture, ou du moins, comme en fait d’habitude un homme arrivé à ses derniers moments : il faut donc en tirer ceux qui lui restent encore fidèles, comme le Christ a tiré de l’erreur un grand nombre de ses auditeurs. La cité de Dieu ne les comptait pas au nombre de ses habitants ; mais beaucoup d’entre eux sont venus y fixer leur demeure à la suite d’une foule d’étrangers. Voilà comment, pendant que Jésus parlait, beaucoup de Juifs crurent en lui. Pendant que je parle moi-même, puissent les Ariens croire, non pas en moi, mais avec moi !

8. « Jésus disait donc aux Juifs, qui avaient cru en lui : Si vous persévérez en ma parole ». Il dit : « Si vous persévérez », parce que vous avez été initiés, parce que vous avez commencé à être dans ma parole. « Si vous persévérez », cela s’entend dans la foi qui s’est établie en vous, puisque vous croyez, où parviendrez-vous ? Voyez où l’on aboutit en commençant de la sorte. Tu as établi avec joie les fondements de l’édifice, dirige tes regards vers son couronnement. Pars de cette humble base, et tu arriveras à un point bien autrement élevé. La foi se fonde sur l’humilité : la connaissance, l’immortalité et l’éternité y sont étrangères ; elles ne connaissent que la grandeur, une élévation exempte de toute défaillance, une incessante stabilité. Au sein de ce séjour, on ne redoute aucun combat malheureux avec des ennemis, on n’éprouve aucune crainte de déchoir. Ce qui commence par la foi est grand, mais on le méprise, comme les ignorants ont l’habitude de tenir peu de cas des fondements d’un édifice. On creuse une fosse large et profonde, puis des pierres y sont jetées pêle-mêle ; le ciseau de l’ouvrier ne les a point polies ; on n’y voit rien de remarquable. La racine d’un arbre ne charme point les yeux ; c’est d’elle, néanmoins, qu’est sorti tout ce qui, dans cet arbre, peut flatter la vue. Tu regardes la racine et tu n’éprouves aucun plaisir : tu es saisi d’admiration en considérant l’arbre. Insensé, pourquoi t’ébahir ? cet arbre n’est-il pas sorti d’une racine dont l’aspect ne dit rien à ton âme ? La foi des croyants semble avoir peu de prix, car tu n’as pas de balance pour en supputer le poids. Écoute donc, je te dirai où elle aboutit : vois combien elle est précieuse ! Le Seigneur ne dit-il pas lui-même en un autre endroit : « Si vous aviez de la foi a comme un grain de sénevé[3] ? » Quoi de plus faible, quoi de plus fort ? quoi de plus petit, quoi de plus énergique ? Vous aussi, dit-il, « si vous persévérez dans ma parole » ; à laquelle vous avez cru, où parviendrez-vous ? « Vous serez véritablement mes disciples ». Quel avantage nous en revient ? « Et vous arriverez à la connaissance de la vérité ».

9. Mes frères, quelle récompense le Sauveur promet-il aux croyants ? « Et vous connaîtrez la vérité ». Eh quoi ! n’étaient-ils pas arrivés à la connaître, quand il leur parlait ? Et s’ils n’y étaient pas arrivés, comment ont-ils cru ? Ils n’ont point cru pour avoir connu la vérité, ils ont cru pour la connaître ; car nous croyons pour connaître, mais nous ne connaissons pas pour croire ; parce que nous connaîtrons ce que l’œil de l’homme n’a point vu, ce que son oreille n’a point entendu, ce que son cœur n’a jamais compris[4]. Qu’est-ce, en effet, qu’avoir la foi, si ce n’est croire ce que tu ne vois pas ? La foi est donc la croyance à ce que tu ne vois pas ; la vérité est la contemplation de ce que tu as cru. Le Sauveur l’a dit lui-même ailleurs. C’est d’abord pour imposer le joug de la foi, que le Christ a vécu sur la terre. Il était homme, il s’était fait humble : tous le voyaient, mais tous ne le connaissaient pas ; condamné par beaucoup, mis à mort par la multitude, il n’était regretté que d’un petit nombre, et encore le peu de personnes qui le pleuraient ne le connaissaient-ils point pour ce qu’il était en réalité. Voilà comme les éléments primitifs du corps de la foi et de l’édifice qui devait s’élever plus tard. C’est dans cette pensée que le Christ a dit quelque part : « Celui qui m’aime, observe mes commandements ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et je l’aimerai aussi, et je me montrerai à lui [5] ». Ceux qui l’entendaient, le voyaient déjà : néanmoins, il leur promettait de se montrer à eux, s’ils l’aimaient. Il en est de même ici : « Vous connaîtrez la vérité ». Eh quoi ! ce que vous avez dit n’est-il pas la vérité ? Oui, c’est la vérité, mais on la croit encore, parce qu’on ne la voit pas. Si l’on persévère dans ce qu’on croit, on parvient à ce que l’on doit voir. Aussi le saint Évangéliste Jean dit-il dans son épître : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu ; mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore ». Nous, sommes déjà quelque chose, et nous serons autre chose. Que serons-nous de plus que ce que nous sommes ? Écoute : « Ce que nous serons un jour n’apparaît pas encore : nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui ». Comment cela ? « Parce que nous le verrons tel qu’il est [6] ». Magnifique promesse ! Mais c’est la récompense de la foi. Tu désires la récompense, travaille donc pour la mériter. Si tu crois, tu as le droit d’exiger la récompense de ta foi ; mais si tu ne crois pas, de quel front la demandes-tu ? « Si donc, vous persévérez dans ma parole ; vous serez vraiment mes disciples », et par là, vous contemplerez la vérité même, telle qu’elle est : vous ne la connaîtrez pas au moyen

  1. Jer. 23, 24
  2. Jn. 1, 10
  3. Mt. 17, 19
  4. Isa. 64, 4 ; 1 Cor. 2, 9
  5. Jn. 14, 21
  6. 1 Jn. 3, 2