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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/62

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c’est lui-même qui est notre voie. Veux-tu ne rien craindre des voleurs ? Voilà, dit-il, que je t’ai ouvert la voie vers ta patrie, ne t’en écarte point. J’ai fortifié cette voie, afin que le voleur ne puisse t’y attaquer. Ne t’en écarte point, et le voleur n’osera t’assaillir. Marche donc dans le Christ, et chante les saintes joies, chante les saintes consolations ; car il y a marché le premier, celui qui t’a commandé de le suivre.
5. « Alors notre bouche a été remplie de joie et notre langue d’allégresse[1] ». Comment, mes frères, la bouche de notre corps peut-elle être remplie de joie ? on n’y met ordinairement que de la nourriture, du breuvage, ou toute autre chose semblable. Quelquefois notre bouche est pleine, et pour tout dire à votre sainteté, quand notre bouche est pleine, alors nous ne saurions parler. Mais nous avons une bouche intérieure, ou dans notre cœur, et tout ce qui en sort, nous souille s’il est mauvais, nous purifie s’il est bon. C’est de cette bouche qu’il était question dans l’Évangile qu’on vient de lire. Les Juifs reprochaient au Sauveur, que ses disciples ne lavaient point leurs mains avant de manger. Ils faisaient des reproches, ces hommes qui avaient une pureté tout extérieure, et qui au dedans étaient pleins de souillures ; ils faisaient des reproches, ces hommes qui n’avaient de justice que devant les hommes. Or, le Seigneur cherchait surtout notre pureté intérieure, qui rejaillit nécessairement sur l’extérieur dès lors qu’elle existe : « Purifiez l’intérieur », leur dit-il, « et ce qui est au-dehors sera pur aussi[2] », Le Seigneur dit encore àun autre endroit : « Faites l’aumône, et tout sera pur en vous[3] ». Or, d’où vient l’aumône ? du cœur. Tendre la main n’est rien, si le cœur n’est touché. Mais si le cœur est touché de compassion, Dieu accepte notre aumône, quand même la main n’aurait rien à donner. Ces hommes d’iniquité ne s’attachaient qu’à la pureté extérieure. C’est de ce nombre qu’était ce pharisien qui avait invité Notre-Seigneur, quand une femme pécheresse, fameuse dans toute la ville, vint le trouver, arrosa ses pieds de ses larmes, les essuya de ses cheveux, et les oignit de parfums. Ce pharisien donc qui avait invité le Seigneur[4], qui n’avait qu’une pureté extérieure, et dont le cœur était plein de rapines et d’iniquités, dit en lui-même : « Si cet homme était le Prophète, il saurait quelle femme est à ses pieds[5] ». Comment pouvait-il savoir si le Sauveur connaissait cette femme, ou ne la connaissait point ? Ce qui fit croire qu’il ne la connaissait point, c’est qu’il ne la repoussa point. Qu’une telle femme se fût approchée de ce pharisien, qui n’avait en quelque sorte de pureté que dans la chair, il eût tressailli, il l’eût repoussée et chassée, de peur que cette femme impure ne le touchât, et ne souillât sa pureté. Et parce que Ïe Seigneur n’en agit pas de la sorte, ce pharisien s’imagine qu’il ne sait point quelle femme est à ses pieds. Néanmoins le Seigneur la connaissait, mais il connaissait même ses pensées : et en effet, ô impur pharisien, s’il y a dans le contact une puissance, est-ce la chair du Sauveur qui pouvait devenir impure au contact de cette femme, ou cette femme devenir pure au contact du Sauveur ? Le médecin permettait à cette malade de toucher le remède, et cette femme qui venait connaissait le médecin, elle qui avait eu l’effronterie de ses dérèglements, eut plus d’effronterie encore pour son salut. Elle entre dans cette maison où elle n’est pas invitée, mais elle avait des plaies, et venait où reposait le médecin. Celui qui avait invité le médecin se croyait en santé, et dès lors il n’est point guéri. Vous savez ce que rapporte ensuite l’Évangile, et comment le Sauveur confondit le pharisien, en lui montrant qu’il connaissait cette femme, et pénétrait ses pensées.
6. Mais revenons à ce passage de l’Évangile qu’on vient de lire et qui se rapporte au verset que nous expliquons : « Notre bouche u a été remplie de joie, et notre langue d’allégresse » ; nous cherchons quelle est cette bouche, quelle est cette langue. Que votre charité veuille bien écouter. On reprochait au Sauveur que ses disciples mangeaient sans avoir lavé leurs mains. Le Sauveur fit une réponse péremptoire, et, appelant la foule « Écoutez », leur dit-il, « et comprenez que ce n’est point ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais bien ce qui en sort[6] ». Qu’est-ce à dire ? Quand le Sauveur dit : « Ce qui entre dans la bouche » ; il ne parle que de la bouche du corps. C’est par là qu’entre la nourriture, et la nourriture ne souille

  1. Ps. 125,2
  2. Mt. 23,26
  3. Lc. 11,41
  4. Id. 7,36
  5. Lc. 7,39
  6. Mt. 15,2