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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/630

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garder ? Mais, afin de mieux comprendre la cause mystérieuse pour laquelle il n’a pas nié qu’il fût Samaritain, rappelez-vous cette parabole si connue : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba entre les mains des voleurs qui le couvrirent de blessures et le laissèrent à demi mort. Un prêtre passa sans s’inquiéter de lui ; un lévite passa aussi, et rie s’en occupa point davantage ; survint un Samaritain : c’est notre gardien ; il s’approcha du malade, en prit compassion, et lui montra qu’il était son prochain, puisqu’il ne le traita pas comme un étranger [1]. Le Sauveur se contenta donc de répondre aux Juifs qu’il n’était point possédé du démon, sans leur dire qu’il n’était pas un Samaritain.
3. Après avoir reçu d’eux une pareille injure, il se borna à leur dire ceci, sur le respect auquel il avait droit : « Mais j’honore mon Père, et vous, vous m’insultez ». C’est-à-dire : Je ne me rends pas gloire moi-même, afin de ne pas vous sembler orgueilleux, j’ai quelqu’un à honorer, et, si vous me connaissiez, vous m’honoreriez comme j’honore mon Père. Je fais ce que je dois ; et vous, vous ne faites pas ce que vous devez.
4. « Je ne cherche pas ma gloire ; il y a quelqu’un pour la chercher et juger ». De qui veut-il nous parler, sinon de son Père ? Comment donc dit-il ailleurs : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout le jugement au Fils[2] », puisqu’il dit ici : « Je ne cherche pas ma gloire ; il y a quelqu’un pour la chercher et juger ? » Si le Père juge, comment ne jugera-t-il personne, et a-t-il donné le jugement au Fils ?
5. Pour résoudre cette difficulté, remarquez-le, on peut se servir d’un passage analogue ; car il est écrit : « Dieu ne tente personne[3] ». Et nous trouvons encore ces autres paroles : « Le Seigneur votre Dieu vous tente, pour savoir si vous l’aimez[4] ». Vous le voyez, c’est bien la même difficulté. Comment « Dieu ne tente-t-il personne », et comment a le Seigneur votre Dieu vous « tente-t-il, afin de savoir si vous l’aimez ? » Nous lisons encore dans l’Écriture : « La crainte n’est pas avec l’autour, mais l’amour parfait chasse la crainte[5] » ; et ailleurs : « La crainte du Seigneur est sainte, elle subsiste dans l’éternité[6] ». Voilà bien, en d’autres termes, la difficulté qui nous occupe. Comment « la charité parfaite chasse-t-elle la crainte », si « la crainte du Seigneur est sainte » et « qu’elle subsiste dans l’éternité ? »
6. Il y a deux sortes de tentations, l’une qui induit en erreur, et l’autre qui éprouve : quand la tentation est de nature à tromper, « Dieu ne tente personne » ; dès qu’elle est une épreuve, « le Seigneur votre Dieu vous « fente, afin de savoir si vous l’aimez ». Ici encore s’élève une autre difficulté : comment « peut-il tenter, afin de savoir », puisqu’avant de tenter il connaît nécessairement tout ? Dieu n’ignore rien, et si l’Écriture dit : « Afin de savoir », c’est comme si elle vous disait : Afin de vous faire savoir. Dans nos conversations ordinaires, et chez les orateurs, dans l’art de bien dire, on trouve à chaque instant des manières de parler tout à fait pareilles. Je vais en prendre un exemple dans notre langage habituel. On dit d’une fosse qu’elle est aveugle, non qu’elle ait perdu la vue, mais parce qu’en se dérobant à nos regards, elle nous empêche de la voir. En, voici un autre, tiré des auteurs anciens. Parlant de certaines plantes, un poète[7] dit qu’elles sont tristes, pour dire qu’elles sont amères, parce que, quand on les goûte, on ressent une certaine tristesse, on devient triste pour en avoir mangé. On rencontre donc, dans l’Écriture, des locutions semblables. Ceux qui s’ingénient à trouver de pareilles difficultés, ont toute facilité de les résoudre. Par conséquent, « le Seigneur votre Dieu vous tente pour savoir » ; qu’est-ce à dire : « Pour savoir ? » pour vous apprendre, « si vous l’aimez ». Job s’ignorait lui-même ; mais Dieu le connaissait ; il permit donc que Job fût tenté, et ainsi lui apprit-il à se connaître.
7. Que dire des deux sortes de crainte ? Il y a une crainte servile, et une crainte pure : lu crains d’être puni ou tu redoutes de perdre la justice. La crainte de se voir puni est servile. Y a-t-il grand mérite à appréhender une punition ? C’est le propre du pire esclave, du plus cruel brigand. Craindre un châtiment n’est pas de la grandeur, mais il est grand d’aimer la justice. Celui qui aime la justice ne redoute-t-il rien ? Pardon, il a peur ; il a peur, non pas de subir une peine, mais de

  1. Lc. 10, 30-37
  2. Jn. 5, 22
  3. Jac. 2, 13
  4. Deut. 13, 3
  5. 1 Jn. 4, 18
  6. Ps. 18, 10
  7. Virgil. Géorg. 1, 1, V.75