Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/634

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reçu son Fils. « Moi, je le connais ». Pour des hommes qui jugeaient de tout avec des idées charnelles, le Sauveur pouvait leur sembler singulièrement orgueilleux, en leur disant : « Moi, je le connais ». Mais voyez ce qui suit : « Si je disais que je ne le connais pas, je serais semblable à vous, je serais menteur ». On ne doit donc pas éviter les apparences de l’orgueil, au point de taire la vérité. « Mais je le connais, et je garde sa parole ». En tant que Fils de Dieu, il parlait le langage de son Père : il était le Verbe du Père, qui parlait aux hommes.
16. « Abraham, votre Père, a tressailli de joie dans l’espérance de voir mon jour : il l’a vu et s’en est réjoui ». Magnifique témoignage rendu à Abraham par son descendant, par son Créateur ! « Abraham », dit le Christ, « a tressailli de joie dans l’espérance de voir mon jour » : il n’a pas eu peur de le voir, « il a tressailli de joie dans l’espérance de le contempler », car en lui se trouvait l’amour qui chasse la crainte [1]. Le Sauveur ne dit point : Il s’est réjoui de l’avoir vu ; mais : « Il s’est réjoui dans l’espérance de le voir ». Il croyait, et il a tressailli dans l’espérance de le voir par les yeux de l’esprit. « Il l’a vu ». Que pouvait, que devait dire de plus Notre-Seigneur Jésus-Christ ? « Il l’a vu et il s’est réjoui ». Mes frères, où est l’homme capable de nous dépeindre cette joie ? Si les aveugles, auxquels le Sauveur a rendu la vue, ont ressenti une vive joie, combien plus vive a dû être la joie d’Abraham, quand, avec les yeux de l’esprit, il a contemplé la lumière ineffable de Dieu, le Verbe éternel, la splendeur qui brille aux regards des âmes pieuses, l’indéfectible sagesse, le Dieu qui demeure dans le Père, le Dieu destiné à venir un jour ici-bas revêtu de notre chair, sans quitter le sein du Père ? Abraham a vu tout cela. Car ces paroles, « mon jour », on ne sait si le Sauveur les a prononcées pour indiquer le temps de sa venue en cette vie mortelle, ou pour désigner ce jour éternel qui n’a ni commencement ni fin. Pour moi, je ne saurais douter que le patriarche Abraham a tout vu. Où en trouver la preuve ? Le témoignage de Notre-Seigneur Jésus-Christ doit-il nous suffire ? Supposons qu’en raison de la difficulté de le faire, il nous est impossible de trouver une preuve manifeste de l’allégresse qu’Abraham a ressentie dans l’espérance de voir le jour du Christ, de la vue et de la joie qu’il en a eues. Mais de ce que nous ne trouvons pas cette preuve, s’ensuit-il que la Vérité puisse mentir ? Croyons à la vérité, et ne doutons en rien des mérites d’Abraham. Néanmoins, voici un fait qui me revient en mémoire ; écoutez-le Quand Abraham envoya son serviteur chercher une épouse à son fils Isaac, il lui fit faire le serment d’accomplir fidèlement sa mission, et de s’instruire parfaitement de ce qu’il ferait ; c’était, en effet, chose extrêmement importante que procurer une femme au descendant d’Abraham : il voulut donc faire connaître à son serviteur sa pensée intime : ce n’était point dans des vues charnelles qu’il désirait des petits enfants : il n’attendait de sa race future rien de mondain ; il adressa donc ces paroles à son envoyé : « Place ta main sous ma cuisse, et jure par le Dieu du ciel [2] ». Quel rapport y avait-il entre le Dieu du ciel et la cuisse d’Abraham ? Vous saisissez déjà le mystère : la cuisse d’Abraham représentait sa race. Alors, le jurement ne signifiait rien autre chose que la venue en ce monde du Dieu du ciel, et sa descendance d’Abraham selon la chair. Plusieurs font à Abraham un reproche d’avoir dit : « Place ta main sous ma cuisse ». Ceux qui ne peuvent supporter l’idée d’un Dieu fait homme condamnent la conduite d’Abraham. Quant à nous, mes frères, si nous reconnaissons le corps du Christ comme digne de notre respect, ne blâmons pas Abraham d’avoir parlé de sa cuisse, et voyons dans ses paroles une véritable prophétie : car Abraham était un prophète. Et qui annonçait-il ? Son descendant et son Seigneur. Il a annoncé son descendant par ces mots : « Place ta main sous ma cuisse », et son Seigneur par ces autres : « Et jure par le Dieu, du ciel ».
17. Transportés de colère, les Juifs répondirent : « Tu n’as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ? Et le Sauveur leur dit : « Avant qu’Abraham fût fait, je suis ». Pèse ces paroles ; apprends le mystère qu’elles renferment : « Avant qu’Abraham fût fait ». Remarque-le : « Fût fait » se rapporte à une créature humaine ; « je suis », à la substance divine. « Fût fait », parce qu’Abraham était une créature. Le Sauveur n’a pas dit : Avant qu’Abraham fût, j’étais ; mais, « avant qu’Abraham

  1. 1 Jn. 4, 18
  2. Gen. 24, 2-4