Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/681

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui appartient à un particulier, mais ce qui appartient à l’Église ? Celui qui vole l’Église doit être comparé au traître Judas. Tel était ce Judas, et cependant il entrait dans l’assemblée des onze autres disciples qui étaient des saints, et il en sortait. Comme eux il prit part à la cène du Seigneur ; il pouvait vivre avec eux, mais il ne pouvait les souiller. Pierre et Judas reçurent du même pain, et cependant qu’y a-t-il de commun entre le fidèle et l’infidèle ? Pierre a reçu ce pain pour la vie, Judas pour la mort. Cette bonne nourriture, en effet, est comme la bonne odeur dont nous parlions. Et comme la bonne odeur, cette bonne nourriture donne la vie aux bons et la mort aux méchants. « Car celui qui la mange indignement, mange et boit sa propre condamnation [1] ». « Sa condamnation », et non pas la tienne, puisque c’est sa propre condamnation et non la tienne. Toi qui es bon, supporte les méchants pour arriver à la récompense des bons, et ne pas tomber dans le supplice des méchants.
11. Faites attention aux exemples que le Seigneur nous a donnés pendant qu’il était sur la terre. Pourquoi avait-il une bourse, celui que les anges servaient, sinon parce que son Église devait, elle aussi, en avoir une ? Pourquoi a-t-il admis un voleur, si ce n’est pour que son Église supportât patiemment les voleurs ? Mais l’homme habitué à voler l’argent de la bourse qu’il porte, n’hésite pas, pour recevoir de l’argent, à vendre le Seigneur lui-même. Voyons ce que le Seigneur lui répond. Remarquez-le, mes frères, il ne lui dit pas : C’est afin de pouvoir voler que tu parles ainsi ; il le savait voleur, mais il ne le fit point connaître pour tel, il le supporta, nous donnant ainsi un exemple de patience et nous apprenant à supporter les méchants qui se trouvent dans l’Église. « Jésus donc lui dit : Laisse-la faire, afin qu’elle conserve ce parfum pour le jour de ma sépulture ». Il leur prédit ainsi qu’il allait bientôt mourir.
12. Or, que signifie ce qui suit : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais vous ne m’aurez pas toujours avec vous ? » Je comprends bien : « Vous aurez toujours des pauvres ». Ce qu’il dit est bien vrai. Quand l’Église a-t-elle été dépourvue de pauvres ? Mais que veut dire : « Pour moi, vous ne m’aurez pas toujours » ; comment comprendre ces mots : « Vous ne m’aurez pas toujours ? » Cependant, ne vous en effrayez pas, c’est à Judas que Jésus s’adressait. Alors pourquoi n’a-t-il pas dit : « Tu auras » ; mais bien : « Vous aurez ? » C’est qu’il n’y a pas qu’un seul Judas. Un seul méchant représente le corps des méchants, comme Pierre représente le corps des bons, et même le corps de l’Église, mais dans les bons. Car si en la personne de Pierre ne se fut pas trouvée la figure mystique de l’Église, le Seigneur ne lui aurait pas dit : « Je te donnerai la clef du royaume des cieux ; tout ce que tu délieras sur la terre sera délie dans le ciel, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel [2] ». Si ces paroles n’avaient été adressées qu’à Pierre, l’Église ne pourrait exercer ce pouvoir. Néanmoins, ce pouvoir s’exerce dans l’Église, de sorte que ce qui est lié sur la terre est lié dans le ciel, et que ce qui est délie sur la terre est délie dans le ciel ; en effet, quand l’Église excommunie, l’excommunié est lié dans le ciel ; lorsque l’Église le réconcilié, il est délie dans le ciel. Si donc cela se fait ainsi dans l’Église au moment où Pierre reçut les clefs, il représentait la sainte Église. De même que, dans la personne de Pierre, se trouvaient représentés les bons qui font partie de l’Église ; ainsi, les méchants qui sont dans l’Église, se trouvaient représentés par la personne de Judas. C’est à eux qu’il a été dit : « Vous ne m’aurez pas toujours ». Que veut dire : « Pas toujours ? » Et que signifie ce mot : « Toujours ? » Si tu es bon, si tu appartiens au corps que Pierre représente, tu auras Jésus-Christ et dans le présent et dans l’avenir ; dans le présent par la foi, dans le présent par son signe, dans le présent par le sacrement du baptême, dans le présent par l’aliment et le breuvage de l’autel. Tu as Jésus-Christ dans le présent, mais tu l’auras aussi toujours, parce que, quand tu sortiras de ce monde, tu iras vers celui qui dit au bon larron : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis[3] ». Mais si tu vis mal, il semblera que tu possèdes Jésus-Christ dans le présent, parce que tu entreras dans l’Église, tu te marqueras du signe de Jésus-Christ, tu seras baptisé du baptême de Jésus-Christ, tu te mêleras à ses membres, tu t’approcheras de son autel, tu auras Jésus Christ dans le présent ; mais si tu vis mal, tu ne l’auras pas toujours.
13. On peut donner encore un autre sens à ces paroles : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours ».

  1. 1 Cor. 11, 29
  2. Mt. 16, 19
  3. Lc. 23, 43